Tout le mois de septembre, le Festival d’Automne a eu comme QG un lieu hors du temps, ultra-militant et ouvert sur un monde qu’on a cru disparu. La Casa do Povo avait carte blanche et en a profité pour montrer plutôt que d’expliquer. The last supper du collectif Mexa est un exemple parfait de ce que le terme déconstruire veut dire. À table !
La Casa do Povo, reconstruite par Benjamin Seroussi, est un kibboutz qui réactive la pensée juive communiste d’après la Shoah, à São Paulo, au Brésil. Imaginez la surprise de ce commissaire d’art, qui fut notamment à la tête de la Biennale d’art contemporain de la ville, quand il découvre, au début des années 2010, une chorale de vieux et vieilles rescapé·e·s chantant en yiddish la chanson des partisans dans ce lieu qu’iels avaient ouvert en 1946. Un peu déconcerté, émerveillé et, dans un sens, obligé, il décide de faire revivre cet endroit pour qu’il ne soit plus seulement un mémorial. Il nous raconte : « C’est un lieu où l’art n’est pas séparé de la vie. Un lieu où une offre artistique peut être montrée dans un endroit où l’on mange, où l’on danse, où l’on se réunit, et en même temps où l’on répète une pièce de théâtre, où l’on s’organise. Tous les usages peuvent se croiser, se mélanger. » Il insiste sur l’identité juive de ce lieu : « En 1946, cette communauté défendait l’idée qu’elle avait gagné la guerre, car le ghetto de Varsovie s’était soulevé, qu’il avait résisté. C’était aussi l’idée qu’un judaïsme diasporique pouvait exister, avoir un sens. La diaspora pouvait être un lieu sûr, malgré tout. Elle devait continuer à exister comme telle. Bien sûr, à l’époque, iels avaient des relations très fortes avec tous les partis politiques de gauche, qui soutenaient Israël. C’était un moment un peu particulier, où il était possible d’être à la fois juif·ve, de gauche, sioniste, diasporique. D’être vivant ». Il ajoute : « Se souvenir des mort·e·s, c’est prendre soin des vivant·e·s. » Le lieu est totalement intersectionnel, woke, ouvert sur tous les mondes et toutes les générations. Il en parle comme « un lieu juif ouvert à l’altérité radicale où l’on trouve des groupes noirs, trans, gays, indigènes… » La gouvernance est évidemment horizontale. Et tout ce petit monde, en tout cas un extrait de ce petit monde, s’est retrouvé pendant trois semaines à la Maison des Métallos.
Pour accéder à la représentation de The Last Supper du collectif MEXA, nous passons devant le bac à sable de la crèche installée là, puis nous voyons un ring de boxe où les garçons et les filles dansent autant qu’iels frappent sur un bon flow hip hop. Disons que ça vous met dans une certaine énergie avant d’entrer en salle, ou plutôt en scène. Quand nous arrivons dans le théâtre, nous voyons une cène, une représentation parmi les milliers de représentations possibles du dernier repas du Christ. À table, iels sont divers, beaux·belles à souhait. Iels nous regardent entre nonchalance et autorité. Puis, le tourbillon se met en place. Au début, une comédienne s’avance et nous raconte justement ce que ce dîner représente pour elle, à quel point il occupe l’imaginaire jusqu’aux endroits les plus pop. L’idée est de le regarder comme le dernier moment avant une séparation. Celles et ceux qui sont à table forment le collectif MEXA, ensemble depuis dix ans, alors, est-ce la dernière fois qu’iels se rassemblent ?
Benjamin Seroussi. avait prévenu : il faut voir pour comprendre. Il est assez impossible de raccrocher leur façon de faire théâtre à ce que nous connaissons. Nous sommes quelque part entre un documentaire, un cabaret et une fiction au sens le plus cathartique du terme. Le spectacle est à la fois un mode d’emploi de leur vivre-ensemble autant qu’un pur divertissement qui vous embarque obligatoirement. Manger ensemble. Qu’est-ce que cela veut dire de partager la nourriture quand l’expression « crever de faim » a été une réalité pour une partie de ce collectif ?
En son, en mots, en vidéo, MEXA utilise tous les médiums possibles pour nous entraîner dans son méta-théâtre. Comme les multiples versions de la Cène, nous ne pouvons discerner le vrai du faux, et les comédien·ne·s s’amusent terriblement de ce hiatus. Le show est total, lip-sync drag impeccable (on n’en dira pas plus), sur plusieurs versions, dont une en portugais de Without You de Mariah Carey — et là encore il ne faut pas trop en dire — les interactions avec le public, très pertinentes, amènent le symbolique à un acte très réel, où la cène et la scène vont fusionner au point de faire de nous des apôtres et des traîtres capables de réécrire des évangiles un peu plus inclusifs. On sort repu·e de ce Last Supper, avec une envie folle de prendre un vol pour São Paulo et d’aller dîner bien plus qu’une fois à la Casa do Povo.
La soirée de clôture de la Carte Blanche Casa do Povo aura lieu le samedi 27 septembre 2025 à la Maison des Métallos. Elle marque la fin de ces trois semaines de programmation intensive — spectacles, ateliers, pratiques sportives ou artistiques, studios collectifs. Ce jour-là à partir de 17h30, un laboratoire de création collective dirigé par Martha Kiss Perrone, artiste brésilienne proche de la Casa do Povo, proposera une performance publique mêlant corps, écriture autobiographique et dramaturgie non hégémonique, ouverte à tou·te·s, quel que soit l’âge ou l’expérience. En parallèle, la soirée se poursuivra avec le sparring + battle de krump, dans le cadre de l’atelier Boxe Autônomo, de 19h à 22h30, dans le hall de la Maison des Métallos. Cette cérémonie de clôture est gratuite, ouverte à toutes et tous, et se veut un moment festif, engagé, où sport, danse, art et politique se mêlent.
Casa do Povo, rebuilt by Benjamin Seroussi, is a “kibboutz” in São Paulo that revives communist Jewish thought after the Shoah. In the early 2010s, an art curator discovered a choir of elderly survivors singing partisans’ songs in Yiddish, in this place founded in 1946. Surprised yet inspired, they decided to bring the place back to life, not as a memorial, but as a living space. The place merges art and life: performances, theater rehearsals, meals, gatherings, dance, activism all happen together. It asserts its Jewish identity while embracing diasporic Judaism as something powerful and safe. The Casa do Povo is intersectional, inclusive of Black, Indigenous, trans, queer communities. Their governance is horizontal. One of their works, The Last Supper by the collective MEXA, blends performance, banquet, memory, fiction and participative theater, leaving the audience with a strong desire for solidarity, community, and for rethinking what it means to live together today.
À voir les 26 et 27 septembre à la Maison des Métallos dans le cadre du Festival d’Automne
Ensuite, le spectacle sera présenté en clôture du festival Actoral à Marseille les 10 et 11 octobre à 20h à la Friche La Belle de Mai
Visuel : ©Werner Strouven