L’association « La Lune dans les yeux » organisait lundi soir, un gala lyrique au profit de « Epic Arts ». Cette dernière se fixe pour but de venir « en aide au Cambodge à des personnes en situation de handicap et leurs proches en leur donnant un accès à la culture et en aidant leur insertion dans la société ». Nobles objectifs qui réunissaient un public de mélomanes venus découvrir quelques pépites du chant lyrique actuel.
Bertrand Périer était le maître de cérémonie, remerciant les organisateurs, les artistes, les bénévoles et les invités d’honneur d’avoir permis une soirée qu’il placera d’entrée de jeu sous le signe de la bonne humeur, présentant avec humour chaque morceau proposé.
Le cocktail d’accueil dans le hall permet un premier aperçu des « voix » puisque le ténor Hugo Tranchant et la soprano Lise Nougier (très en voix !) entament un Libiamo, coupe de champagne à la main, très enjoué et bien interprété.
Le public est ensuite invité à entrer en salle pour une mise en bouche assurée par le pianiste Cyprien Katsaris, spécialiste de l’improvisation qui nous offrait ce soir un florilège d’airs d’opéras, aux mélodies finement ciselées au milieu d’une « orchestration » abondante.
Mais ce sont les artistes lyriques qui ont la part belle ce soir et nous offrent un beau programme, mêlant les tessitures et les répertoires dans un heureux bouquet vocal de belle facture.
Lise Nougier – Révélation Lyrique 2019 de l’ADAMI- drapée dans une très belle robe bleu ciel, ouvre le bal avec l’air des bijoux du Faust de Gounod, joliment troussé, et bien interprété, gestes à l’appui. Belle prosodie française, sens du rythme et des couleurs, timbre chatoyant et aigus très élégants, grande sensibilité, tout est séduisant dans sa prestation comme d’ailleurs dans l’émouvant air de Liu, « Signore ascolta », quand l’esclave tente de convaincre son maitre Calaf de ne pas tenter de résoudre les énigmes de Turandot.
Le ténor Hugo Tranchant qui lui succède, propose quant à lui un morceau du répertoire baroque avec « Un momento di contento », extrait de l’Alcina de Haendel. La projection n’est pas immense et la voix assez menue mais l’artiste est plaisant et chante bien avec humour, possédant l’art de la gestuelle sur scène qui rend vivant sa prestation, ce qu’il confirmera avec son deuxième choix, l’interprétation d’un air comique de Franz dans les Contes d’Hoffmann, le « Jour et Nuit » où il n’hésite pas à rouler par terre pour aller au bout de l’incarnation du rôle et il le fait bien !
A l’inverse, l’autre voix masculine, celle du baryton Paul-Louis Barlet est très bien timbrée et possède de grandes qualités techniques, legato soigné, colorations du chant, prosodie précise et totalement intelligible en italien comme en russe. On est impressionné et tout à fait séduits par son air du Comte dans les Noces de Figaro, « Hai gia vinta la causa) tout comme par sa faculté à passer de Mozart à Tchaïkovski, pour nous livrer, dans un style fluide et harmonieux, le difficile air d’Eugène Onéguine refusant les avances de Tatiana.
La mezzo-soprano Juliette Gauthier, membre de l’Académie Favart de l’Opéra-Comique la saison dernière, défendra à son tour un air de Rossini, plus pyrotechnique et léger, le « Cruda sorte » de l’Italienne à Alger qui exige beaucoup de virtuosité et que -parait-il- Stendhal avait considéré en son temps comme une musique sans intérêt. Dans un allemand aussi idiomatique que son italien (nos jeunes talents ont une diction impeccable !), elle défend ensuite les couleurs de l’opérette avec une présentation très réussie de la soirée par le comte Orlofsky dans Die Fledermaus de Johann Strauss, le « Ich lade gern ».
Comme le programme ménage un peu tous les genres, nous aurons également des morceaux du répertoire de soprano dramatique ou au moins lyrico-spinto avec Nadège Meden dont le volume impressionne, un peu trop puissante pour la petite salle Cortot. Elle a incontestablement des moyens importants, une agilité vocale admirable, et un grand sens de l’interprétation que l’on apprécie en particulier dans son « Es gibt ein Reich » extrait d’Ariadne auf Naxos de Strauss, mais son « Nel di della vittoria » l’air de Lady dans le Macbeth de Verdi et surtout le difficile « In questa reggia » de Turandot, manquent encore un peu de souplesse et de nuances. L’aigu projeté avec force, apparait parfois un peu trop strident. Ce sont des pièces de répertoire qui demandent sans doute encore un approfondissement pour être maitrisées parfaitement.
Nous (re) découvrons enfin la superbe mezzo-soprano Olga Syniakova, que nous avions appréciée en Pauline dans La dame de Pique, l’an dernier à l’Opéra de Lyon. Tout regrettant qu’elle n’ait pas chanté le premier air prévu, la virtuose « Canzone del velo » (chanson du voile) extraite du Don Carlo de Verdi, nous ne pouvons que nous incliner bien bas devant son talent dans les deux autres morceaux de choix qu’elle nous propose : d’abord le « O mio Fernando », version italienne de La Favorite de Donizetti, qu’elle interprète avec cette mélancolie des premiers vers, le temps suspendu sur un magnifique « la folgor tua su me » qui provoque d’ailleurs des applaudissements intempestifs, mais vite réprimés, avant un héroïque « Su, crudeli, e chi v’arresta?/Scritto è in cielo il mio dolor » qui nous amène vers un glorieux aigu particulièrement élégant tout en exprimant tout le désespoir de celle qui doit céder la place. La reprise avec variation permet à l’artiste de montrer l’étendue impressionnante de ses qualités techniques, la beauté de son timbre opulent, son art de la volcalise et de l’ornementation, ses aigus jamais criés, bref on rend les armes sur un final volcanique « Maledetta, disperata/sarà spenta in questo dì ! ».
Et l’on se réjouit à l’avance du très bel hommage à Saint-Saëns qu’elle rend, en interprétant l’air emblématique de Dalila : « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». La diction française est sans doute perfectible à la marge, mais l’ensemble est si magnifique que l’on repart en fin de soirée, un peu plus tard, avec son obsédant « Réponds à ma tendresse ! Verse-moi l’ivresse ! » en tête. Une artiste à suivre absolument qui a su, avec modestie et talent, séduire le public sans la moindre réserve.
Les pianistes Soraya Verdier et Denis Dubois alternent pour accompagner nos artistes lyriques, tous deux très talentueux, apportant, autant que faire se peut, l’illusion de l’orchestre qui manque à ces airs d’opéras. Et c’est Soraya Verdier qui conclut une soirée longuement applaudie, par « la mort d’Isolde », l’arrangement pour piano composé par Liszt sur la musique du Götterdämerung de Wagner, le final grandiose de la Tétralogie.
Encore merci à tous pour ce beau récital dans cette salle mythique qui possède -dit-on- la meilleure acoustique de Paris, pour la musique de chambre et singulièrement les récitals avec piano.
Visuels : Olga Syniakova / Photo : ©Maribel Server – Nadège Meden / Photo : ©Nadège Meden- Autres artistes : ©site des artistes.