Rosa Bursztein se dédouble, face à nous, sensible et émouvante, drôle évidemment. Ce troisième spectacle, Dedoublée, elle l’introduit comme « un tour du monde de {ses} 80 connards en 1 h 15 », mais c’est un peu plus que cela.
Vêtue d’une longue robe blanche, un peu dentelle, un peu brodée, très bohème, la jeune femme qui a « 35 ans ressentis 250 » entre en scène. On l’a laissé, l’année dernière, après son Rosa, pleine d’allant, un brin perdue, en quête d’amour. Dans cet opus, elle se confiait sur ses ambivalences et son intimité, son rapport à la sexualité ; des fils qu’elle continue de tirer pour un peu plus nous éclairer tout en nous divertissant, nous partager un morceau d’elle dans lequel un peu de nous rescelle.
Sa voix et sa gouaille maladroite sont connues pour œuvrer depuis quelques saisons déjà dans l’émission Zoom Zoom Zen sur France Inter, et pour être avoir ravi plusieurs plateaux de télévision, notamment celui de Quotidien avec les pastilles « Rosa Bonheur ». Prolixe, et surtout forte d’une formation de comédienne, celle qui rêvait d’être actrice a participé à nombre de projets au théâtre, à la télévision, au cinéma, mais aussi dans des créations Canal + ou YouTube, et elle a monté ses propres projets comme animer l’émission OrgasmiQ sur Téva ou créer son podcast, Les mecs que je veux ken.
Adapté en livre, ce podcast vient directement nourrir ce troisième spectacle, Dédoublée, où il est moins question « des mecs » que du « je ». Seule-en-scène, Rosa Bursztein effeuille et se dévoile, sans détours et sans se vernir, munie de son sourire espiègle et de son regard rieur. Derrière son micro, elle anime la salle et fait apparaitre ses personnages. On déambule au fil de ses souvenirs d’enfance, de famille, de premiers tournages, de dates (foireux)… Oui, elle nous dit, avec beaucoup d’auto-dérision, ce que d’aucun•es diront que ce sont des banalités. Oui, Rosa a la trentaine, est juive, athée (« Je préfère que mes enfants soient gays plutôt que croyants »), aime la politesse par-dessus tout, préfère sortir avec « des gars qui savent cuisiner », adore dormir et construit, brique par brique, son féminisme, son écologisme, son gauchisme… Mais n’est-on pas aussi là pour ça, se voir en miroir dans nos contradictions ?
Victime d’antisémitisme depuis plusieurs mois, Rosa Bursztein refuse de se faire intimider et sa droiture en avant-scène est la plus belle résistance. Armée de sa fraîcheur, elle ne dévisse pas, elle persiste à faire, à partir de ce qu’elle est, un humour ciselé et fin, des blagues et des jeux de mots qu’il faut aller écouter pour les comprendre, en saisir la finesse et la précision. Loin d’être perchée sur scène et de distribuer ses bons mots, Rosa Bursztein est à hauteur de public, interagit et s’appuie sur sa salle émue et en connivence.
Elle rit, elle joue de ses mains. Elle a grandi, elle est sortie du bateau, et elle s’est habillée (pour commencer). Et si cette robe était celle de son mariage ? Car oui, il l’a vue, elle l’a vue, ils se sont parlés, puis elle lui a écrit, il lui a répondu et… Bref, elle est amoureuse et il est dans la salle. Iels ont déjà vécu beaucoup de choses ensemble qu’il nous est doux d’entendre, des choses belles et des larmes. Rosa Bursztein évoque sa fausse-couche et nous montre que de tout (ou presque) on peut réussir à rire, à faire un souvenir solide sur lequel s’appuyer, comme on s’appuie sur le souvenir de la voix d’une grand-mère qui parle une langue qui se meurt et disparait, sur l’assurance que tout arrive, même l’amour.