Ronan Rivière est formidable. Il cisèle à sa façon, celle du merveilleux comédien et du brillant arrangeur qu’il est depuis longtemps, le personnage de Poprichtchine tiré du Journal d’un fou de Gogol. Judicieux, ses choix de mise en scène construisent une pièce remarquablement drôle. Et son jeu est inoubliable.
Aksenty Ivanovitch Poprichtchine, discret fonctionnaire de Saint-Pétersbourg, a bien du mal à trouver sa place dans le monde : il vit seul avec sa domestique Mavra et ses amours et ses ambitions sont contrariées par sa maladresse et sa distraction. Il s’invente alors une vie nettement plus enviable, jusqu’à perdre tout rapport à la réalité et s’imaginer roi d’Espagne.
Le Journal d’un fou est non une pièce de théâtre, mais une nouvelle qui prend la forme d’un long monologue. Paru en 1835, le texte se présente sous la forme d’un journal intime, tenu par le héros principal, Poprichtchine. Il y décrit son quotidien de petit fonctionnaire occupé principalement à tailler les plumes de son directeur. Il nous confie les sentiments qu’il éprouve pour la fille de son directeur. Des premiers signes de folie apparaissent. Il espionne les discussions de la chienne Medji. Il finit par mettre la main sur des lettres que la chienne aurait écrites à une autre chienne, Fidèle ! Rapidement, le fonctionnaire perd tout rapport avec la réalité. Il conçoit qu’il n’est rien de moins que le roi d’Espagne, Ferdinand VIII. Emmené de force dans un asile psychiatrique, il se figure arriver en Espagne. Il perd tout à fait la raison ; ses phrases deviennent totalement absconses. Ainsi la dernière : « Hé, savez-vous que le dey d’Alger a une verrue juste en dessous du nez ? ».
Ronan Rivière et sa troupe nous ont habitué à l’excellence. Dernièrement avec La Foire de Madrid, de Lope de Vega, précédemment avec Le Double, d’après Dostoïevski, en 2018, ou encore Le Roman de Monsieur Molière, d’après Boulgakov, en 2016. Et, bien sûr, on se souvient de son premier grand succès, inoubliable : Le Revizor, de Gogol, créé au Lucernaire en 2014, déjà.
La force de Ronan Rivière repose sur un puissant engagement littéraire et théâtral. Il recense, dissèque, analyse, puis il adapte au plateau. Sa patte : il cadence, ajoute une bande son, donne le rythme. L’artiste est généreux. Il connaît nos attentes, nous donne beaucoup. Son geste est personnel, intime, inventif, toujours singulier. Il est visuel, parfois cinématographique, cependant qu’il s’oblige à respecter le geste littéraire et son esprit.
Rivière a ajouté au plateau le personnage secondaire de Mavra (truculente Amélie Vignaux), la domestique qui est le premier témoin de la chute et tiendra le rôle d’un souriant narrateur. Olivier Mazal finit le dispositif éclatant ; il interprète au piano des morceaux de Prokofiev qui collent parfaitement au texte de Gogol.
Dernière qualité de l’artiste : la joie, joie du théâtre, de l’acting et, bien sûr, joie du spectateur.
Foncez voir Le Fou de Gogol au Lucernaire.
Le Journal d’un fou
D’après Nikolaï Gogol
Adaptation et mise en scène Ronan Rivière
Avec Amélie Vignaux, Ronan Rivière et Olivier Mazal
Musique Sergueï Prokofiev
1h15
Au Lucernaire, jusqu’au 10 décembre, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30.