Au commencement, une musique puissante, cordes et percussions à vif, pour nous immerger dans un univers en ruines, celui d’une vieille maison disloquée dont ne subsistent qu’un sommier, des bouts de tapisserie livides, un mur de parpaings. Lieu vague, indéterminé ; scène de guerre, monde postapocalyptique ? Une silhouette est assise, dos au spectateur, capuche relevée sur la tête ; elle parle des « keufs dans la tête » qui l’assaillent, de sa porosité au monde extérieur puisque nous sommes tous reliés les uns aux autres, dans la joie comme dans la merde, peut-être surtout dans la merde. Les frontières : quelque chose que l’on a accepté étrangement, bêtement, comme l’on a accepté d’autres choses, que l’on nous a fait prendre pour des vérités absolues, indéniables, inchangeables. Tout.es bardé.es de préjugés, tout.es aptes à les déconstruire, alors, peut-être.
Anna Conti prête magnétiquement voix et corps au texte de Virginie Despentes, qui s’emploie tour à tour à fustiger nos petites soumissions millénaires et quotidiennes, en nous incitant parallèlement à ne pas sombrer dans des mécanismes de culpabilisation, qui minent, ne servent à rien et sont peut-être en définitive des réponses égoïstes face à un monde nécessitant au contraire la force vive du pluriel. Faire la révolution est possible, dit-elle ; il faut écouter le souffle du temps, de cette génération de jeunes gens qui, contrairement à leurs aînés, veulent vraiment changer le monde.
Disons-le d’emblée ; nous n’avons pas trouvé au texte de Despentes la puissance pleine et corrosive d’autres de ses textes. Ou peut-être que, humains trop humains, nous préférons vilement ce qui pète et ce qui claque à ce qui vise à concilier. Mea culpa, dans ce cas. Le message est beau pourtant, qui incite à la résistance et à l’insoumission, à la possible reconstruction d’un monde plus beau, le tout servi par une scénographie et un univers sonore particulièrement poétiques. La projection mapping issue de l’univers de Cléo Sarrazin, permise grâce à la reconstitution progressive d’anciens pans de murs pour recréer une mappemonde morcelée (à moins que ce ne soit une tête d’enfant de profil ?) est à cet égard très réussie ; on y voit défiler des atomes, des constellations, des déserts, des forêts, des montagnes, des yeux de fauve ou de vieux sage… Chacun y verra bien sûr ce qui lui plaira. La force de la métaphore s’incarne ici dans des projections visuelles tangibles, comme autant d’horizons possibles, comme autant de beautés cachées à découvrir dans l’univers. C’est beau, c’est incarné ; manquent peut-être à ce beau spectacle des « arts de faire » concrets, de ceux qui permettraient que les notions de « contamination » interindividuelle, de traversée de l’Autre, ne restent pas des vœux pieux.
Du 4 au 26 juillet à 18h00 à La Scierie, relâche les 8, 15, 22 juillet / durée 1h
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©didierperon photography