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Reprise à Berthier de la pièce essentielle de Arne Lygre « Jours de joie ».

par David Rofé-Sarfati
27.04.2024

En 2022, après, Nous pour un moment, Stéphane Braunschweig poursuivait son compagnonnage artistique avec l’auteur norvégien Arne Lygre et montait une œuvre alors toute fraiche, et déjà essentielle, Jours de joie. La pièce nous revient cette saison aux Ateliers Berthier, pour ceux qui l’avaient manquée.

 

Pour ce “jour de joie” (ou moment de joie selon une autre traduction), une mère choisit un lieu serein pour retrouver ses enfants. Alors que le fils annonce qu’il veut disparaitre pour se retrouver, leur réunion est troublée par d’autres personnages venus au même endroit pour se parler.  Quelque temps plus tard, acte 2, lors d’une petite fête chez l’ex-compagnon du fils, celui-ci explique qu’il a choisi de tourner la page ; la mère décide au contraire de retrouver le disparu.

Pour Stéphane Braunschweig,  la pièce est 

un enjeu théâtral à la mesure de notre époque, de son rapport à la solitude, de son rêve de “nous”. Jouer Lygre, c’est questionner par le théâtre ce qui, aujourd’hui, fait lien.

Je suis ce que je dis

Chaque personnage s’autoproclame. Je suis ce que je dis être. Cette particularité de la pièce saute aux oreilles et crée immédiatement un sentiment d’étrangeté et d’inconfort. On s’inquiète de savoir si la chose va nous être facile, si nous allons réussir à suivre l’intrigue. Ce choix littéraire déroutant semble presque un bug pour lequel le spectateur serait invité à le corriger mentalement. Chaque personnage s’autoproclame avec l’article indéfini, non pas dans une revendication ou une conjuration, mais dans une simple déclaration, quasiment un aveu. Il est par exemple une mère et rien d’autre. Le personnage nous avertit de sa posture mentale, il nous indique qui parle et à quel moment. Il annonce sa posture psychique.  Ainsi, cette femme qui vient à la rencontre de son fils se sent intimement une mère, et rien d’autre. Cette fille qui se joint à cette rencontre se pense en cet instant comme une soeur. Une fois encore, rien d’autre.

 

Échapper à la filiation

Une autre étrangeté du récit tient à l’envie des personnages d’échapper à la filiation. Aksle souhaite couper les ponts avec sa famille, son mari, sa sœur tandis que sa sœur ne peut ou ne veut avoir des enfants. La fille autant que le fils refuse de rendre grand-mère cette mère terrible et féroce ; alors même qu’elle s’autoproclame bonne mère. Un autre personnage envisage, loin du classique aménagement familial, un lieu spécial pour sa future tombe, lieu qu’il se dispute avec une étrangère. Chaque personnage semble ainsi vouloir se décrocher d’une souche. Ces personnages sont éminemment modernes, dans l’air du temps des multiples déconstructions.  Ils se situent dans l’après d’une assignation où le père est définitivement mort.

Un effet miroir

Comme au théâtre, comme dans nos vies, nos identités ne sont que pour un instant. Arne Lygre fait un pas de plus dans sa description de l’économie de nos identités. Dans la pièce Nous pour un moment, les identités étaient plastiques. Ici les identités restent glissantes. Elles sont mobiles individuellement pour un instant. Des liens peuvent alors se construire entre les gens. L’auteur installe des miroirs dans le texte. Sur scène, chaque personnage de la pièce connaît un double. Cependant s’il y a une autre mère, s’il y a une autre sœur, il n’y aura pas communauté.

La pièce d’ Arne Lygre déconstruit aussi cela, le salut ne viendra pas d’un communautarisme, mais d’un effet miroir entre un individu et un autre. Braunschweig épouse ce biais et rien, dans leur phrasé ou dans leur vêtement ne nous aide à les situer socialement, politiquement ou philosophiquement. Il n’y a pas de groupe, seulement des électrons libres (libérés). L’ensemble de la scénographie figure cet effet miroir, tandis que le très beau décor épuré à la scandinave intègre une géométrie invisible et parfaite.

Simul et Singulis et Virginie Colemyn

La troupe est merveilleuse. Elle nous donne à ressentir une forme de banalité équivoque et la tristesse d’un monde, où, hors le fils disparu, personne ne doute ni ne se cherche.  Au sein de cet univers fade, les ponctuations comiques de Virginie Colemyn sont formidables.

Tout commence sur un banc qu’un voisin a déposé là pour le panorama, et qui sera utilisé par une mère et une sœur, pour se retrouver et discuter. Et tout finit par un instant de joie partagé entre une autre mère, un autre moi, ultimes identités affranchies. La joie se partage. Elle est le fruit du collectif.

Le final imaginé par Stéphane Braunschweig nous laisse face à cette joie.  Le metteur en scène nous tend un miroir.  Il nous reste à savoir si la joie est authentique.

Une pièce essentielle.

 

 

Jours de joie
d’Arne Lygre
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

durée 2h20

avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal

 

Crédit photo © Simon Gosselin