Déménager par amour, s’exiler pour fuir. Une vie dédiée à suivre l’autre pour ne pas que la famille explose. .REKORD, c’est toutes ces questions à la fois. Une pièce à voir, qui nous emmène de France en Irak et en Égypte, sans qu’on ne voit le temps filer.
.REKORD raconte Bibi, grande amoureuse d’Abdou. De leur amour naîtront trois enfants dont Philippe, l’ainé. Philippe n’a pas vraiment connu son père quand il était enfant, car ce dernier vivait en Irak. Élevé par la force de sa mère et la chaleur de sa grand-mère, il ne ressent aucun manque. Pourquoi alors partir vivre en Irak ? Il ne va pas tout quitter pour cet homme qu’il ne connait pas ? Et ses copains ? Et la maîtresse ? Et Mamie ? Oui mais il le faut car Bibi a décidé qu’elle fera famille. Contre la sidération de tous, elle réunit tout le monde à Bagdad pour qu’ils forment enfin un foyer. Mais sous le régime de Saddam Hussein, Abdou n’est plus en sécurité. C’est une nouvelle fois Bibi qui prendra la décision : il faut partir. Pas déménager, s’exiler cette fois.
Pour raconter cette histoire, Sumaya Al-Attia ouvre la pièce avec le témoignage de Philippe devenu père. Un témoignage qu’on pourrait écouter des heures et qui nous plonge tout de suite dans le déroulé du spectacle. On comprend d’emblée que l’intrigue tourne autour des présences et des absences familiales entre deux pays. Entre les figures distantes et celles qui comblent le vide. Philippe par exemple, est présent sans être là. On entend sa voix adulte et on le visualise enfant à travers la si poétique métaphore du ballon. L’enfant tenant un ballon de baudruche en suspension est l’image même de l’enfance, à l’instar de la célèbre Petite Fille au ballon de Banksy. Ici, le ballon matérialise directement l’enfant. Ce sont les parents qui apparaissent au bout du fil. A gauche du plateau se tient l’espace de la maison, et à droite la voiture, élément essentiel des départs et des migrations. Voiture que Sumaya Al-Attia assemble au début de la pièce quand son père raconte ses souvenirs : rassembler les morceaux de son histoire pour en comprendre la construction. Tout est bien pensé. La référence aux ballons, les lumières bleues et oranges, les phares des voitures qui colorent les années 1960-1970 et dessinent les nuits de la narration.
Comme dans Décennie Noire de Yacine Benyacoub (Prix SACD remis durant les Zébrures), l’autrice ouvre son propos par l’appel au souvenir. Comme lui, elle a questionné, demandé à ce qu’on lui raconte. A travers ces histoires de vie, l’environnement plus large du politique et les conséquences sur les citoyens, obligés d’adapter leurs trajectoires. Ce recours à l’émotion permet aux spectateurs de rentrer tout de suite dans l’intrigue. La pièce invite à une réflexion sur le langage, les personnages n’ont pas la même langue, Adbou parle Arabe irakien, Bibi Français.
Il est difficile d’écrire sur .REKORD car tout fonctionne. La scénographie, l’éclairage, le texte, l’emploi des deux langues, les comédiens … Tout roule comme la voiture de Bibi qui donna son nom à la pièce : l’Opel Rekord. Le texte a été mis en lecture lors des Zébrures du Printemps 2025 avant d’être coproduit aujourd’hui par le Théâtre de l’Union, donnant à voir un spectacle parfaitement abouti, qui nous emmène en France, en Égypte et en Irak, dans le passé et dans le présent sans qu’on ne voit le temps passer. Un grand bravo !
©CHRISTOPHE PEAN-2025
Texte & mise en scène Sumaya Al-Attia
Avec Duraid Abbas Ghaieb, Sumaya Al-Attia, Lou Valentini
Voix Nael Al-Attia, Saad Abbas
Création lumière, vidéo et scénographie Mariam Rency
Création sonore Elvire Flocken-Vitez
Création costumes Gwladys Duthil
Régie Elvire Flocken-Vitez, Célia Halard
Regard extérieur Julien Dubuc
Construction décor Marcel Pepet
Surtitres Razan Alazzeh
Audiodescription Laëtitia Dumont-Lewi
Avec la participation des équipes des ateliers décors et costumes du Théâtre de l’Union, ainsi que des équipes techniques des Francophonies – Des écritures à la scène
Production On va vers le beau
Coproduction Théâtre de l’Union – CDN du Limousin / Les Francophonies – Des écritures à la scène
Avec le soutien de L’Institut Français dans le cadre du programme “Des Mots à la Scène”, DRAC Occitanie, Ville de Fleurance, Petite Pierre (Gers)
Accueil en partenariat avec le Théâtre de l’Union – CDN du Limousin