Marco Augusto Chenevier se présente seul sur scène ; le quintette dont il fait partie n’a pas voulu l’accompagner à Avignon, fort peu émoustillé par l’idée que les artistes doivent payer la salle avec leurs propres deniers Qu’à cela ne tienne ; avec un peu d’imagination et de bonne volonté du public, la magie pourrait peut-être opérer…
C’est un spectacle hybride que celui proposé par Marco Chenevier ; on croit d’abord à un one man show mélanco(m)ique : c’est la crise, sa compagnie italienne n’est plus subventionnée et le pauvre danseur appartenant à un talentueux quintette se retrouve tout seul, vêtu d’un survêt criard, muni d’un sac de sport, looser mignon et poétique d’un monde culturel en crise. Pourtant, nous affirme-t-il, le spectacle promettait d’être génial ; il devait rendre hommage à la grande Rita Levi Montalcini, décédée à 103 ans en 2012 et lauréate du prix Nobel de médecine en 1986 (grâce à la découverte et l’identification du « facteur de croissance des cellules nerveuses », jouant un rôle important dans la coordination entre les systèmes nerveux, endocrinien et immunitaire). L’ironie tragique s’inscrit ici dans le parallèle créé entre le monde de l’Art et celui de la recherche scientifique, car ce spectacle-hommage – qui ne peut donc pas vraiment avoir lieu – devait critiquer le manque de moyens alloués à la recherche scientifique par le gouvernement italien, des coupes budgétaires et un manque de reconnaissance contre lesquelles se battait justement Montalcini. C’est sous l’égide de son portrait en avant-scène que le spectacle-hommage, ou ce qu’il en reste, peut commencer.
Pour que le spectacle puisse avoir lieu – maintenant qu’on est tous là ! – Marco Chenevier s’institue donc metteur en scène. Il a besoin de volontaires ; il faut quelqu’un à la régie, à la création musicale, il faut des danseurs – qui seront aussi accessoirement des costumiers – il faut quelqu’un qui surveille le temps puisque la règle d’Avignon, c’est de libérer le plateau presto une fois l’Art accompli. Des gens se lèvent, d’abord timidement, puis avec plus d’entrain, sous les encouragements du metteur en scène auto-proclamé qui oscille entre valorisations comiques et autoritarisme feint. Finalement, ce sont aussi les courageux volontaires qui font le spectacle ; il y a ceux qui prennent un réel plaisir à se trouver sous le feu des projecteurs, ceux qui se demandent encore pourquoi ils sont montés sur scène, ceux qui tentent vaille que vaille de bien faire malgré les explications hasardeuses et effrénées de Marco Chenevier. Si tant est que l’on soit sensible au comique de répétition et de caractère, on rit beaucoup à contempler ce microcosme foutraque, à voir cette solidarité collective émerger petit à petit, déterminée à aller au bout du calvaire artistique. Spoiler alert : la bonne volonté collective ne donne rien de bien grandiose, mis à part dans les solos dansés de Marco Chenevier qu’il doit donc improviser chaque fois sur un morceau différent, avec ou sans lumière selon la dextérité de l’apprenti régisseur. Mais l’essentiel est ailleurs. L’essentiel ici, c’est de rire et de comprendre qu’il en faut, de l’énergie vitale et des compétences, pour réaliser quelque chose de beau, et qu’il est grand temps de redonner au spectacle vivant les moyens de sa subsistance.
Spectacle à retrouver à 17h05 au Train Bleu du 5 au 23 juillet / Jours impairs
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©Lorenzo Benelli