« Que sur toi se lamente le Tigre » : Alexandre Zeff mêle avec succès théâtre politique et engagement esthétique

par Julia Wahl
13.01.2024

Après Tropique de la violence, créé en 2021, Alexandre Zeff continue d’adapter à la scène des romans ancrés dans la violence contemporaine. Que sur toi se lamente le Tigre nous emmène ainsi dans l’Irak actuel grâce à la plume d’Émilienne Malfatto et au talent scénique d’Alexandre Zeff.

La tragédie des « filles mères »

Dans la campagne irakienne, une jeune fille se découvre enceinte. Elle n’est pas mariée : elle le sait, pour les siens, cette découverte est synonyme de mort. Son frère Amir, l’homme de la famille, remplira son devoir sans état d’âme : l’honneur d’une femme vaut plus que sa vie.

Le roman d’Émilienne Malfatto, journaliste et photographe qui a longtemps sillonné l’Irak, nous présente cette histoire terriblement banale sous la forme d’un récit polyphonique. Chaque personnage, de la jeune fille promise à la mort à sa belle-sœur désemparée, livre son appréhension d’un drame vécu comme une fatalité : nul ne saurait s’opposer à l’accomplissement du châtiment, pas même son frère Hassan, « le gentil, le tendre ».

Une sollicitation de tous les sens

Pour adapter ce roman au théâtre, Alexandre Zeff a pris le parti de conserver le texte original. Les personnages, face public, disent chacun à leur tour leur partition, dans la langue simple et nette d’Émilienne Malfatto. Le Tigre, qui, dans le roman, prenait sa part de la narration, apparaît à l’avant-scène, dans une scénographie de Benjamin Gabrié qui joue de la profondeur du plateau et crée des espaces distincts. Cette surface aquatique est celle où meurt, à la guerre, Mohammed, le père de l’enfant non désiré, mais c’est aussi un lieu où se réfléchissent les ombres de l’ensemble des personnages.

Outre cette bipartition, le travail visuel repose sur un code de couleurs, du bleu au rose, qui crée des continuités et des ruptures d’un personnage à l’autre, d’un moment à l’autre. A d’autres instants, c’est le noir qui domine, tandis que le blanc des vapeurs vient envahir la scène. La musique accompagne ces tableaux avec force ou légèreté, à l’oud (Grégory Dargent) ou aux percussions (Wassim Halal), guidant le public en un lieu incertain, qui évite une imagerie trop pittoresque de l’Irak. A cette pléthore de sollicitations esthétiques il faut ajouter la vidéo et, surtout, la danse de la mort au combat de Mohammed, joué par Mahmoud Vito. Enfin et surtout, chaque acteur et actrice incarne son personnage avec une pudeur qui permet, malgré l’abondance d’images et de sons, de faire entendre avec bonheur le texte d’Émilienne Malfatto.

Que sur toi se lamente le Tigre, d’après le roman d’Émilienne Malfatto, adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff

Du 12 janvier au 11 février 2024
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Théâtre de la Tempête

Visuel ® Victor Tonelli