Le Théâtre 14 accueille jusqu’au 22 mars Port-au-Prince et sa douce nuit, une pièce de Gaëlle Bien-Aimé mise en scène par Lucie Berelowitsch. L’autrice haïtienne y montre un couple tentant de survivre dans une capitale en proie au chaos.
Ce texte de Gaëlle Bien-Aimé a déjà une belle carrière devant lui : lauréat du Prix RFI en 2022, il a fait l’objet d’une première mise en espace par la directrice du CDN de Vire en 2023, à l’occasion du festival des langues françaises. Il s’agissait alors de proposer, en l’espace d’une semaine, une première ébauche de travail. Le tandem entre la metteuse en scène et l’autrice fonctionne, si bien qu’elles poursuivent le projet avec, en avril 2024, la création d’une mise en scène complète. C’est ce spectacle que le Théâtre 14 donne à voir.
Un homme et une femme, un soir, dans une chambre. Tel est le début de Port-au-Prince et sa douce nuit. L’homme s’appelle Ferah et travaille à l’hôpital de Port-au-Prince. Dans la journée, Zily, la femme, qui est aussi sa compagne, est venue l’y trouver et y a croisé le chemin d’une femme enceinte, au ventre ensanglanté par une balle. Alors elle se demande : qu’est-il arrivé à cette femme ? Comment vivre et survivre dans un chaos pareil ? « Je t’aime rayonnante », lui répond Ferah. Doit-elle feindre pour lui plaire ? Doit-elle cacher ses angoisses ? Le ton monte, les phrases, tranchantes comme des couteaux, s’échangent. Une dispute de couple qui, dans la nuit haïtienne, prend des tournures singulières.
La singularité de l’écriture de Gaëlle Bien-Aimé consiste pour partie dans son aptitude à faire entendre les turbulences de la ville au sein même de cet espace intime qu’est le couple. Les métaphores, les irruptions inopinées de déflagrations participent de cette coexistence entre l’intérieur et l’extérieur. Cette résurgence régulière du chaos de la ville, Lucie Berelowitsch la donne d’abord à voir par une scénographie sobre, qui se confond en apparence avec une simple chambre à coucher : un lit, en fond de scène, occupe l’essentiel des regards. Toutefois, les yeux du public décernent peu à peu, en fait de murs, des photographies d’immeubles, dont certains penchent dangereusement. Au sol, du sable rappelle l’insularité d’Haïti en même temps que le changement constant auquel sont soumis·es ses habitantes et habitants.
Cette résurgence sempiternelle du chaos, la mise en scène la donne aussi à entendre. Des détonations, qui déchirent en leur centre des disputes ou des chuchotements amoureux, mais aussi des chansons et des musiques que de téméraires fêtard·es écoutent tard dans la nuit. Des musiques qui rappellent que la vie continue, doit continuer… et engagent les deux amoureux·ses à danser, avant de rêver à un avenir qui semble leur échapper.
La réussite du spectacle tient en grande partie à l’interprétation de Sonia Bonny. La comédienne joue Zily avec grâce et simplicité, sans ostentation, mais avec toute sa présence. La taille, relativement réduite, du plateau, donne au rapport entre la scène et la salle la proximité des rapports intimes. Il en va de même de la musique, passée à faible volume, qui crée un espace sonore tout en finesse et entraîne public et acteur·rices dans un monde plein de sensualité.
Après le Théâtre 14, Port-au-Prince et sa douce nuit fera escale à Bayonne (Scène nationale du Sud-Aquitain) avant de jeter à nouveau l’ancre à Vire, pour un « Temps fort haïtien », où seront programmé·es Aimer en stéréo, de Gaëlle Bien-Aimé, mais aussi l’exposition La Maison bleue, de Nathania Périclès, et le film Freda, de Géssica Généus.
Port-au-Prince et sa douce nuit, texte de Gaëlle Bien-Aimé, mise en scène de Lucie Berelowitsch, avec Sonia Bonny – comédienne permanente au Préau-CDN de Vire – et Lawrence Davis. Au Théâtre 14 jusqu’au 22 mars.
Visuel : © Samuel Kirszenbaum