Performance

« The speech » : le choeur animal de Lina Lapelytė au Festival d’Automne

par Amélie Blaustein-Niddam
12.09.2024

En 2023, Lina Lapelytė avait subjugué le Festival d’Automne en compagnie de Rugilė Barzdžiukaitė et Vaiva Grainytė. Elles avaient transformé la Grande Halle de la Villette en… plage. Pour The speech, elle est seule et investit la Rotonde de la Bourse de Commerce dans un appel presque enfantin à une nature perdue.

Programmé dans le cadre à la fois du Festival d’Automne et de la Saison de la Lituanie en France, The Speech donne le ton d’une année placée sous le signe de la prise de conscience. Il n’est pas nouveau que les artistes questionnent la crise climatique et ses conséquences sur les générations futures. Sun and Sea, dont nous vous parlions plus haut, date de 2017 par exemple. The Speech est, lui, une installation performative qui occupe l’intérieur du cercle de la Rotonde de la Bourse de Commerce. Pile sous la verrière se déploie une mer de nuages sur le sol. Et ? Et rien d’autre, pendant un long moment. Juste, nous, un public nombreux, assis par terre tout autour de cet espace vide, mais rempli. Nous regardons ce vide brumeux, nous y scrutons des mouvements. Non, il n’y a rien. On le comprend plus tard, il n’y a rien comme il n’y a plus de grand renard volant des Palaos, de grand pingouin ou de loup de Tasmanie. Ce sont d’ailleurs des loups, mais aussi des moutons que nous entendons. Car oui, des humains résistent encore. Ils et elles sont des dizaines, des enfants et des adolescent.e.s seulement. Pas d’adultes, ils ont trop merdé. De l’avenir, que de l’avenir, qui s’empare du vide, chasse la fumée et la remplace par des sons, des bruits, des cris d’animaux.

Cette meute-là vient du collège Saint-Joseph, et des écoles élémentaires de la Villette, Claude-Vellefaux et Jardinet. Les enfants se croisent, ils sont juste une particule (élémentaire elle aussi ?) avant de devenir une masse. Ils font ce que les enfants font. Ils jouent. Il y a cette chose que les adultes demandent à faire aux petits quand ils sont des « tout-petits », ils leur demandent de reproduire les cris des animaux. Et puis, les enfants, quand ils sont vraiment enfants, lisent des livres où les animaux sont personnifiés. Et puis, il y a ce jeu auquel les enfants petits et grands jouent : à chat. Dans le cercle de la Rotonde, ils et elles se perchent, mais personne ne cherche à toucher qui que ce soit. C’est trop tard.

S’ils et elles sifflent, brament, beuglent, aboient, bourdonnent, c’est pour réactiver un fantasme d’une nature aujourd’hui muette. La performance évolue vers un groupe qui se resserre et dont le son devient un brouhaha indifférenciable. La sensation est celle d’écouter une forêt luxuriante. Sauf qu’ici, tout est gris, le béton règne en roi.

The speech agit comme une vague de sound system humain, elle vous parcourt, vous laisse là, un peu désabusé.e.s. Les images de ces hordes courant en oscillant comme un chant de baleine sont de la beauté pure.

Jusqu’au 13 septembre à la Bourse de Commerce – Pinault Collection

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Visuel : © Martynas Norvaiša