Comment vivre avec la mort, ou plutôt avec la Mort ? Samir Kennedy répond à cette question personnelle et universelle par des gestes et des chants entre mystique et mélancolie. Un choc, à voir aux Inaccoutumés de la Ménagerie de Verre.
Il nous accueille de dos dans la salle du haut de cette ancienne imprimerie toute vitrée et toute blanche. Dans ce studio de danse normalement, on s’assoit à même les petits gradins ou le sol, mais là, c’est comme un hommage inconscient à Marie-Thérèse Allier, la fondatrice du lieu, disparue en mars 2022, et qui, à la fin de sa vie, voyait d’un seul œil les spectacles sur sa chaise. Samir Kennedy aussi a sa chaise ; elle est bleue, la sienne ; il y est assis, seul, alors que nous sommes là. Il n’a rien fait encore, et pourtant ce geste anodin, être assis seul, dos à une foule, dit en une seconde la peine qu’il porte en lui.
Porter ? Non, supporter plutôt. Nous dirions même soutenir, oui, soutenir est le verbe juste, tant Samir Kennedy ne fait que ça, il soutient. Son bras pour qu’il puisse encore bouger, ses doigts un par un pour qu’ils puissent accompagner les paumes de mains et les ouvrir, de nouveau face au ciel. Tiens, le ciel…
Le ciel que l’on voit dans cette salle semble habité ce soir, il pleut à torrents, il paraît qu’il n’a pas plu comme ça à Paris depuis 1920. Est-ce que chaque goutte d’eau qui claque bruyamment sur le toit transparent est l’un des fantômes que Samir Kennedy porte, supporte et soutient ?
Entre-temps, il s’est retourné, un peu, puis complètement. Il a cherché nos regards et les a, eux aussi, soutenus. Il a trouvé de la verticalité, il a même pu commencer à marcher et à se mouvoir complètement, telle une âme errante, mais au déhanché décidé.
Il prend la pose et devient une icône religieuse. Il est tous les saint Sébastien au torse transpercé, jeune pour l’éternité.
The Aching fonctionne comme une succession d’enterrements ou d’exercices collectifs de consolation. Samir Kennedy chante, et chante juste, comme on le fait seul, au casque, pour supporter une émotion. Il convoque des mélodies anciennes, il est question de nature, de disparitions symboliques et de plaintes eschatologiques. On quitte cette cérémonie entre danse et récital dans le silence, sans applaudir, pour accéder au deuxième temps de la performance qui est un film, Réunion, de Samir Kennedy et Jame St Findlay. Nous les suivons, clowns tristes et cadavres vivants errant dans l’Agora, le Centre chorégraphique de Montpellier. Le film est le pendant parfait au « spectacle ». Samir Kennedy y apparaît en négatif, juste une trace de corps, rouge. Un faune qui disparaît dans les murs si beaux de l’enceinte médiévale.
Il boucle ainsi sa boucle entre les disparitions et sa disparition. The Aching et Réunion, ensemble, attristent et apaisent. Samir Kennedy, comme Steven Cohen qui remontait son boudoir la semaine dernière au Festival d’Automne, pose des actes, des lignes de corps et des objets. Tous les deux, ils se recouvrent de peinture ou d’habits aux allures étranges pour nous porter, nous supporter et nous soutenir, nous les vivant.e.s.
Merci.
À voir jusqu’au 11 octobre à 19 heures. Le festival se tient, lui, jusqu’au 21 novembre.
Visuel : © Samir Kennedy