Le MAIF Social Club invite tout le week-end la performance du danseur et acteur. Ce récit ultrapersonnel et militant contre le racisme et l’homophobie a remporté le prix du public du festival Impatience 2022.
Le 3 septembre 2020, à Bordeaux, vers 1 h 30 du matin, un jeune homme poignarde Yacine Sif El Islam et son compagnon en criant : « Sales pédés. » Depuis, le comédien et danseur a la joue bardée d’une cicatrice. Et ça commence comme ça, par une déposition de faits, glaçants par leur absurdité. Ils sont trois sur cette scène, à même le sol, dans cette salle où la lumière ne s’éteindra jamais. Il y a lui, Yacine, qui danse, seul, en relâchant son bassin avec liberté. Il y a, de dos, Benjamin Yousfi qui brode d’insupportables phrases telles que : « Pourquoi à votre avis on vous traite de pédés ? » Il y a, derrière son clavier, Benjamin Ducrocq, posant des notes électronisantes très enivrantes. Puis le mouvement cesse, Yacine s’assoit à la table, ouvre son livre et nous lit, nous joue son histoire.
En matière de spectacle vivant, l’immense tendance du théâtre documentaire s’est infusée et transformée pour devenir un espace de témoignage. Cette « ère du témoin », pour reprendre la célèbre formule d’Annette Wieviorka, marque un grand changement dans nos perceptions. La semaine dernière, Aline Arshi performait son identité indienne à la Ménagerie de Verre et, quelques jours après, Laurène Marx partageait ses mots sur ses histoires de transidenté. L’époque est donc à la parole vraie, comme si la fonction ne suffisait pas à dire le pire. Cela provoque une attention encore plus vive que face à une histoire fictive bien racontée. L’écriture de Yacine Sif El Islam touche, car elle sort de ses tripes d’abord, ensuite parce qu’elle est sacrément bien articulée. Il manipule avec agilité les concepts de racisme, d’homophobie et de consentement avec une fluidité vide de compassion. Il sait être dur et léger dans le même moment.
Il part de cette agression qui a failli lui coûter la vie pour relire toute sa vie et tous ses choix. Dans son chemin d’acceptation, il passe par tous les états qui lui permettent de comprendre et de dépasser son traumatisme. Ce faisant, il ouvre son discours en le rendant très universel. Il pointe la complexité des désirs, quand le sexe et la violence se mêlent. Sola gratia : Abus I fonctionne, car il tient en dramaturgie. Ce n’est pas uniquement un talk face public. La pièce se séquence par la danse qui nous fait remonter le temps jusqu’au début des années 2000. L’extrême élégance du geste de broderie qui est exécuté durant toute la longueur de la performance est très puissant, parce qu’il grave les agressions tandis que la voix et la musique les mettent en réflexion.
Jusqu’au 20 avril au MAIF Social Club, 37 rue de Turenne – 75003 Paris
Le texte est édité aux éditions Komos.
Visuel :©Yacine Sif El Islam