« Rebota rebota », Agnés Mateus explose le patriarcat
par Amélie Blaustein-Niddam19.03.2024
Jusqu’au 20 mars seulement, Agnés Mateus s’empare de la scène du Théâtre de la Bastille pour faire exploser les haines millénaires envers les femmes.
« Pute », « chienne »
Dès la première seconde du spectacle, on se dit que quelque chose ne va pas, que ce que l’on voit là n’est fait ni pour être beau, ni pour être drôle. Un personnage surgit sur une musique techno qui pourrait nous entraîner, le visage caché par un hideux masque du Joker, le méchant de Batman. Iel danse les jambes moulées dans un legging à paillettes dorées. Et puis, le visage arrive. C’est celui de la performeuse Agnès Mateus. En interview, Agnés Mateus et Quim Tarrida, qui met en scène, nous disaient : « Nous devons aller au maximum de nos possibilités. La scène est faite pour cela. » Et le max, c’est de faire des listes. D’abord des listes d’insultes, puis des listes de concordances de faits, des listes de princesses Disney violées dans leur sommeil, puis, pour de vrai, des listes de femmes et de petites filles mortes, assassinées par des hommes. Cela n’a l’air de rien, ce ne sont que des mots prononcés et écrits en lettres immenses sur le mur. Cela fait rebond… Le titre entier du spectacle, Rebota rebota y en tu cara explota veut dire en français : « Ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face. »
« Je ressemble à tout sauf à une bite »
La pièce à la dramaturgie parfaite est une boucle qui commence par cette musique techno et une danse endiablée et qui finit sur la même musique et la même danse. Mais entre les deux, il s’est passé pas mal de chose. Agnés Mateus démonte les mécanismes qui rendent les meurtres des femmes possibles. Elle commence par faire des blagues misogynes qui font encore rire certains au premier degré à ce moment-là de la pièce, mais ça ne dure pas. L’accumulation des motifs d’humour ayant en commun le physique ou la sexualité des femmes est insupportable. Plus personne ne rit. La performance puise dans l’art concret, de Marina Abramović à Carolina Bianchi. Agnés Mateus va au bout du geste, elle se confronte à l’agresseur, elle s’étouffe elle-même… Elle décrypte avec une ironie féroce les motifs masculins les plus… évidents !
2016-2024
« En Espagne, deux femmes sont assassinées chaque semaine, et la situation n’est pas différente en Europe. Il faut que tout le monde se mette au travail pour arrêter ce fléau», nous rappelle le duo dans l’interview qu’il et elle nous avait accordé le 12 mars 2024. Comment arrêter ? Évidemment, un spectacle ne suffit pas. Mais Agnés Mateus et Quim Tarrida, en démontant les mécanismes du patriarcat qui mènent aux féminicides, éduquent et font réfléchir. C’est le public entier qui rebondit au bruit de la colère qui frappe contre les violences. Rebota… déborde autant de paillettes que de terre, il déborde. Et il n’a pas fini de déborder, car Agnés Mateus et Quim Tarrida sont artistes associés pour trois ans dans le parlement du Théâtre de la Bastille. On ne va pas ranger la colère tout de suite, et c’est tant mieux !
Du 15 au 20 mars au Théâtre de la Bastille
Visuel : ©Théâtre de la Bastille
« Deep are the Woods », l’immersion lumineuse d’Éric Arnal-Burtschy au Festival du TNB
par Amélie Blaustein-Niddam21.11.2024
Tiziano Cruz : « Ce qui n’est pas nommé, n’existe pas »
par Sylvia Botella19.11.2024
