« Nexus de l’adoration », le prime de Joris Lacoste au festival d’Avignon

« Allez mes petites beautés, c’est parti, on envoie la sauce »

« L’Encyclopédie de la parole » est un collectif de performeurs et performeuses qui, depuis 2007, « cherche à appréhender transversalement la diversité des formes orales ». Que ce soit avec Parlement, solo en anadiplose, Le Vrai Spectacle, séance d’hypnose collective, ou ses différentes Suites, Joris Lacoste ne cesse de mettre en scène sa compilation de paroles de façon renouvelée. Pour Nexus, nous sommes quelque part entre une cérémonie religieuse, une comédie musicale, ou, on préfère cette idée, un soir de prime time pour un télécrochet.

« Prière et salutation sur toi »

Pendant l’entrée du public, le groupe se chauffe en mode respiration Pilates. On devine des tenues typiques de clips des années 80, avec la lumière qui va avec : des spots roses, mauves, bleus, rouges. Il y a une estrade à différents niveaux en fond de scène pour accueillir des musicien·ne·s. Daphné Biiga Nwanak, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Thomas Gonzalez, Léo Libanga, Ghita Serraj, Tamar Shelef, Lucas Van Poucke se mettent en ordre de marche, ou plutôt en ordre de liste vocodée. Un peu à la manière de 10 000 gestes de Boris Charmatz, Lacoste propose des milliers de mots ou blocs de mots. Un chargeur de téléphone, un volcan sous-marin, le tango… tout y passe, ou presque. Les interprètes, en tenues très foutraques, ressemblent à des candidat·e·s de la Star Ac’, tout y est : les moments de danse ensemble, écrits par Solène Wachter, de la bonne danse chorale, très addictive. On se marre face à une humaine IA qui, les yeux hagards, accumule cette liste à la Prévert 2025. On adore aussi les références aux jeux vidéo, quand ils ou elles ondulent sur place, dans un rebond qui ressemble à celui de Link dans Zelda, quand il attend une commande de notre part.

« Un emoji cœur, suivi d’un emoji pêche, suivi d’un emoji langue »

Mais voilà, le rythme se perd rapidement pendant la première partie, franchement trop répétitive. Lacoste n’arrive pas à nous faire adhérer à cette proposition-là, alors que toutes les précédentes étaient plus claires. Cela s’explique par un pas de côté important dans sa carrière. Dans le travail de « l’Encyclopédie », jusqu’ici, la forme primait sur le sens. Ce qui comptait, c’étaient la sonorité, les aspérités, tout ce qui fait un accent, une personnalité. Là, et cela est intéressant, il passe au réel, aux témoignages concrets.

« Une affaire classée sans suite est une affaire enterrée »

Heureusement, Lacoste a la bonne idée de mettre côte à côte le sexe et la mort. Thomas Gonzalez s’en mêle sérieusement en nous racontant une séance de cul très crade dans les thermes de Caracalla, juste après que Tamar Shelef a raconté les shivas (la semaine de deuil dans le judaïsme) qui ont suivi la mort de sa mère, survenue alors qu’elle était sur scène. Elle raconte, dans sa voix, dans son émotion, pleine de douceur, que dans sa famille, « on ne voile pas les miroirs ». Et c’est à ces deux moments que la pièce prend tout son sens et qu’elle devient limpide. La parole du témoin, dans ce qu’elle a de plus pur, est aussi un récit à porter au corpus de « l’Encyclopédie ». On le voit, tout comme on peut passer d’une guerre à une pub, on peut passer d’une anecdote rigolote à une autre, ritualisée et triste.

La pièce est vraiment coupée en deux par ce moment, et une fois celui-ci passé, on entre dans un show parfait où les codes de la culture télé et pop sont très bien exploités. Il ne manque rien, ni les danseuses, ni les choristes. On retrouve avec délice le Lacoste des lipsyncs improbables sur une série de notes vocales, SMS, DM. Il nous propose une efficace battle de hashtag, en anglais et en français, s’arrêtant sur le #Maintenant. Les mots deviennent des phrases dont pas mal sont politiques.

« Sorry not sorry »

Au final, Nexus de l’adoration trouve son rythme, mais malheureusement sans faire l’économie d’un problème de structure. Tous les ingrédients sont là, réunis pour que ce spectacle fonctionne comme tous ceux de Lacoste. Sa grande force, celle du zapping ou du scroll, est maîtrisée à la perfection, il sait très bien nous faire passer du coq à l’âne pour nous montrer que tout est toujours lié, même quand les liens sont invisibles. Nexus veut utiliser la parole comme un outil de fédération, un moment de vivre ensemble où le tout et le rien, le futile et le grave dialoguent. Pour y arriver complètement, pour être un portrait via la parole de notre époque, de notre #Maintenant, la pièce doit être resserrée pour gagner en cohérence.

عرض «نيكسوس» لجوريس لاكوست وجماعة «موسوعة الكلمة» يتنقّل بين الطقوس الدينية، العروض التلفزيونية، والكوميديا الموسيقية، مستعرضًا آلاف الكلمات والشهادات التي تشكل نسيجًا شفهيًا فريدًا. رغم تكرار ممل في البداية، تنجح المسرحية في الإمساك باللحظة عند تقاطع الحياة والموت، الجنس والفقد. النصف الثاني ينبض بالحيوية والذكاء البصري، لكنه لا يعوض تمامًا خللاً في الهيكل العام. العمل دعوة للتأمل في الكلام كأداة جماعية وطقسية، تحتاج فقط إلى بعض التركيز لتكتمل.

Joris Lacoste’s Nexus, created with the collective L’Encyclopédie de la parole, hovers between ritual, musical, and televised spectacle, showcasing thousands of spoken fragments. Though the first part feels repetitive and disjointed, the performance gains clarity and emotional depth through powerful moments juxtaposing sex and death. The second half becomes a visually compelling pop-tuned show, but the piece overall suffers from a lack of structural coherence. Nexus aspires to use speech as a tool for collective experience, where the trivial and the profound coexist. To fully succeed, the piece needs a tighter focus.