La Mc 93 consacre plusieurs soirées à la « Vénus noire » d’Alice Diop et Robin Coste Lewis, avec une lecture-performance et la projection d’un court-métrage de la réalisatrice française.
C’est aux États-unis, lors d’une résidence, qu’Alice Diop a découvert ce texte, si particulier, de Robin Coste Lewis, Voyage Of The Sable Venus (2015). La poétesse américaine y interroge l’invisibilisation progressive des femmes noires de l’art occidental. Après, dans l’Antiquité, un début encourageant, ces dernières voient en effet leur place restreinte à partir du moment où l’Europe se fait chrétienne. Dès lors, la beauté féminine est blanche et les femmes noires réduites à des rôles subalternes.
Forte de ce constat, elle énumère, sur près de deux-cents pages, les représentations artistiques afférentes, en commençant par la Vénus de Botticelli et son pendant décolonial Vénus noire de Suzanne Valadon, qui met fin à la hiérarchie chromatique. Elle nous propose alors d’embarquer sur ce bateau négrier que figurerait le coquillage d’où naît cette nouvelle Vénus.
Sa langue, du moins dans sa traduction française, accorde une large place aux figures d’accumulation, comme l’énumération, l’anaphore et l’asyndète. Sur le plan visuel, les strophes se découpent sur les feuilles blanches les unes après les autres, en une parataxe typographique. L’ensemble est lui-même composé en plusieurs parties, dont l’une des dernières, « Monter à bord de l’Odyssée », a plus singulièrement marqué la conception du travail scénique d’Alice Diop : c’est en effet, pour l’essentiel, de ce texte de quelques pages qu’elle donne lecture.
Que faire d’un texte fondé ainsi sur la répétitions des mêmes structures syntaxiques, dont le travail de reproduction et de variation semble imiter le roulis du navire ? Le choix d’Alice Diop est de nous le livrer très simplement, en mettant en scène le fait qu’elle ne se livre jamais qu’à une simple lecture. Un bureau en bois occupe ainsi le centre de la scène, éclairé d’une douche jaune. Il est recouvert de livres empilés avec soin ; à la droite de la réalisatrice, l’on devine à la couverture noir et rose, visible de loin, la traduction française de la longue épopée de Robin Coste Lewis ; à sa gauche, un lourd livre d’art, dont le titre, en lettres capitales, fait figure de programme : « NEGRO ».
La diction d’Alice Diop participe de ce sentiment d’un retour lancinant du même : de sa belle voix calme et claire, elle détache chaque mot et fait entendre, par des pauses millimétrées, les silences du texte.
La soirée s’achève par la projection du court-métrage Fragments Of Venus, que la réalisatrice a tourné après avoir découvert le texte de Robin Coste Lewis et qui fut présenté à Venise cet été. L’on y contemple, à travers les yeux de Kayije Kagame, les oeuvres picturales les plus célèbres de l’art occidental, avant que de découvrir, dans les rues de Brooklyn, d’autres modèles de beauté féminine, aux corps plus variés : différentes couleurs, certes, mais aussi différents âges et différentes corpulences (la grâce de Séphora Pondi !). Une soirée qui multiplie avec justesse les supports pour dire la beauté de toutes.