Un voyage sur la difficulté de la reconnexion à soi, au monde, et à notre environnement. Étape par étape, allant crescendo dans la quête initiatique, une performance qui travaille matière plastique et sonore.
Au premier étage du Maif Social Club, la scène s’ouvre sur une grande bâche blanche, sur laquelle est déposés divers objets du quotidien. Deux miroirs posés de chaque côté, des couvertures, des tissus éparpillés. Deux personnages entrent, chacun dans son coin, ils lézardent, jouent un petit peu avec les objets qui les entourent. Au bout de quelques minutes, chacun allume un appareil électronique pour mettre un fond sonore : pour l’un il s’agit d’un vlog type lifestyle d’une anglophone et sa morning routine, l’autre un podcast sur le thème de la greffe. On voit les deux personnages explorant leurs rapports aux objets du quotidien, doucement et silencieusement. D’un coup après s’être revêtus de plusieurs justaucorps qu’ils se sont interchangés, ils commencent à transformer leur environnement, déplaçant les objets afin de construire un totem avec pour visage : un chat. On bascule alors peu à peu dans un univers interstellaire, avec une musique pop ambiance 90s, les deux personnages apparaissent comme deux guerriers de l’espace, l’un chantant en playback sur la musique, et l’autre explorant du regard son nouvel univers. La scène s’arrête par un cri ; on change pour un univers qu’on ressent désertique, où les deux personnages décident de rentrer en contact physique ; c’est la découverte de l’autre. Ainsi s’en suit une série de touchés, qui débloque chez eux une expérience du corps qu’il explore par la suite chacun de leur côté, à mi-chemin entre la danse et le rituel.
Adrien et Alice Martins, avec qui nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir à l’issue de leur pièce, sont deux frère et sœur ayant grandi entre la France et le Portugal. Ils nous ont raconté la Genèse de ce qui sera plus tard la performance à laquelle nous avons assisté, qui débuta sans qu’eux-mêmes s’en rendent compte sous la forme de spectacle enfantins. Ils s’amusaient à l’époque à recréer dans le hangar de leurs grands-parents des univers variés en utilisant les objets autour d’eux. Ils adaptent toujours leur spectacle à l’espace dans lequel ils se produisent, que ce soit sur un plateau ou dans un cadre in situ, la scénographie joue un rôle crucial, parfois modifiant même la dramaturgie. Une particularité de leur processus est d’écrire et de s’inspirer des espaces non conventionnels, comme des places de parking ou des rails, enrichissant ainsi leur manière de performer. Adrien et Alice ont toujours eu des terrains de connexion différents : Alice étant plus manuelle, Adrien plus orienté vers la danse et la musique. Cette complémentarité se retrouve dans la pièce où un personnage copie l’autre, il y a des moments frénétiques, oscillant entre la jouissance et une intensité presque tragique, avec une tension semblable à celle des enfants qui rient jusqu’à l’excès, atteignant un point de malaise. Ils ressentent un besoin de proximité avec le public, crucial pour leur performance, et réfléchissent à la meilleure façon d’aménager cette interaction.
Le spectacle joue avec différents registres émotionnels et physiques, en poussant les intentions jusqu’à un point de bascule. La pièce est un fourre-tout intentionnel, où des objets matériels sont utilisés pour leur importance affective et intime, devenant presque aussi importants que les personnages. Un jeu de ping-pong est orchestré entre les éléments de la pièce, un moteur essentiel pour faire progresser l’histoire, partant du simple pour atteindre des moments de folie. La connexion avec les objets et l’environnement est ritualisée, permettant aux interprètes de mieux comprendre leur propre évolution à travers la pièce. Chaque étape est cruciale, sans possibilité de brûler les étapes, avec des règles strictes de connexion spatiale et logistique. La pièce oscille entre le réel et le fantasme, où les objets deviennent des extensions du corps, créant des créatures à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de leur corps. Le spectacle explore l’idée d’être humain sans les objets, avec une dualité entre le bonheur de se connecter et la tragédie de la perte de ces connexions. Ils reconnaissent l’importance de l’évitement et de la bulle initiale, mais la perception du public devient plus claire et significative à mesure que la performance progresse.
Entre vertige et déconnexion, le public est immergé dans cet univers fantastique où les codes de science-fiction sont comparés par les auteur.ices à l’univers de la série Rick et Morty.
Une performance signée de la compagnie A au Carré, sur scène et à l’écriture Alice et Adrien Martins, Elodie Paul qui a accompagné à la dramaturgie et à l’écriture dramatique, Jean Thévenin et Romain Loiseau pour la musique, Carole Oliveira pour la lumière, et costume et objet en collaboration avec Charlotte Pistien.
Visuel : Jerk Off ©