Miss Knife s’empare de la scène du Châtelet du 7 au 12 novembre, cet événement nécessitait une rencontre vraiment cult avec cette chanteuse à la manière de Barbara, actrice comme Mistinguett, et vieille tante à l’écoute. Plus qu’un double d’Olivier Py, elle représente une conscience, une voix intérieure qui rappelle aux artistes l’importance de défendre la liberté pour vivre pleinement leurs désirs.
Ni l’un ni l’autre, je suis une chanteuse qui a maintenant 30 ans de carrière. Toujours fraiche, toujours fringante, charmante. Une chanteuse, mais avant tout une artiste.
Une miss… Mais toutes les dames qui montent sur scène sont des miss ! Le dernier endroit où on a le droit de dire « mademoiselle » c’est pour les dames qui sont sur scène.
Mademoiselle, ou miss ou chérie, comme vous voulez.
(Chantant) Qui s’appelait, qui s’appelait !
(Chantant) Je rêve d’amour éperdu, et de promesse entendue… Du grand amour irrévocable, et de serment indéchirable…
Mais si la quasi totalité de mes chansons ont été écrites par Olivier. J’ai chanté quelque fois en scène d’autres auteurs, mais pas aussi admirables, pas aussi profonds, pas aussi follement métaphysiques que Olivier Py. Voilà pour qui j’ai la plus grande admiration.
Je le connais depuis très longtemps. Je l’ai connu tout petit, tout mignon, tout petit, il est venu tout tremblant me présenter les chansons qu’il voulait que je chante dans les années… dans ces années-là ! J’ai trouvé les textes amusants, je me suis dit, après tout ce petit est plein de charme, pourquoi pas ? Je ne suis pas certain qu’il fasse une grande carrière mais au moins j’aurais chanté ses chansons, c’était comme une béa.
Au départ j’ai travaillé comme chanteuse et comme artiste dans un cirque pour lancer des couteaux, alors Miss Knife est restée. Puis comme c’était la mode des patronymes américains, Johnny Hallyday, Dick Rivers, je me suis dit alors pourquoi pas Miss Knife, et c’est resté.
Maybeline Knife, vous voyez ça me plaît bien sûr.
Ah non surtout pas ! Surtout quand j’ai chanté aux Etats-Unis, quand j’ai chanté à New-York « She cuts like a knife » a dit le public.
Oui c’est formidable !
Ce sont d’abord des différences d’époque, puisque le mot drag queen n’existait pas, et c’est vrai que quand j’ai commencé on s’est dit « ah je ressemble vraiment à un travelo » (rires) c’est amusant ! Alors j’ai dit bon pourquoi pas si la communauté LGBT – qui ne s’appelait pas la communauté LGBT – me reconnait comme une des siennes alors j’en suis tout à fait flattée.
Je flotte ! « I will survive », comme je chantais dans ces années-là. Voilà j’ai survécu, j’en suis très fière. Mais j’ai l’impression que la différence avec Miss Knife et ce qui pouvait se faire Chez Michou – qui est admirable évidemment, je suis fanatique de Michou -. Pour moi c’est une très grande tristesse que ce cabaret ferme, ou qu’il ne soit plus ce qu’il a été, ou chez Madame Arthur chez qui j’ai souvent chanté. La différence c’est que moi je n’incarnais pas des personnages, je ne reproduisais pas des imitations, et puis c’était mon répertoire, celui d’Olivier Py, et puis je chantais. Donc pour moi c’est tout simplement de la chanson française, c’est tout.
C’est fou mais c’est fou lorsque je vois ce qu’a subi le pauvre petit Thomas, qui était si mignon, qui portait si bien son petit nom de Thomas Jolly. Comment ce pauvre petit Thomas a pu avoir des menaces de mort, simplement parce qu’il y avait deux travestis dans son extraordinaire show qui durait quatre heures. Ça n’était quand même pas le centre, alors je suis sidérée de voir que, oui un homme qui porte une robe ça impressionne toujours autant. Ça fait toujours aussi peur, y’a quand même des choses plus dangereuses et effrayantes dans notre société.
Non, ça empire. L’extrême droite qui mettait le mouvement LGBT dans son argument, ce qui semblait inconcevable il y a quarante ans à ce sujet. On ne pensait pas qu’il y aurait tout un pan de l’extrême droite mondiale, qui aurait comme argument, cet argument fou de gens qui ne s’habillent pas de la même manière que les autres. Qui ne vivent pas leur genre de la même manière que les autres, qui ne s’aiment pas de la même manière que les autres. Ça ne semblait plus du tout de l’ordre du politique, car politiquement c’est devenu considérable. Mais par contre par rapport au public. Je dirais que Miss Knife dans ces années-là, c’était un genre de transgression, de folie de la nuit etc. Aujourd’hui je suis heureuse qu’on vienne en famille voire Miss Knife, c’est un spectacle tout public.
Oui bien sûr. Tout spectacle est politique déjà, le spectacle en soi est politique…
Mais oui j’ai tout appris de lui, je répète comme un perroquet tout ce qu’il m’a appris. Et puis, oui sans doute parce qu’un spectacle qui au fond donne une visibilité aux communautés LGBTQ+, bien sûr que c’est politique.
Oui bien sûr, c’est se mettre sur les fesses toutes les plumes des combats perdus. À l’origine de Miss Knife il y a une catastrophe, la catastrophe amoureuse, la catastrophe politique ou la catastrophe de la scène en soi. Déjà entrer en scène c’est un état sacrificiel qui mérite d’être chanté. Il y a eu beaucoup de chansons sur ce beau sujet, et la terrible condition de l’artiste.
(Chantant) Si tu as le regard lucide… et tu trouves la vie fétide, amer, aigre et videe…
Oui bien sûr. Pendant vingt, vingt-cinq minutes. J’ai revu mes attentes à la baisse.
Oui un prince charmant en vingt-cinq minutes en gros c’est tout ce qu’ils savent faire.
Oh euh non non non. Elle est beaucoup plus peuple, c’est pas du tout une bourgeoise. Elle est peuple, au contraire elle aime les pompiers, elle aime les camionneurs, elle aime les électriciens. Ce n’est pas du tout une femme du monde.
C’était pour remplir la salle, parce qu’on s’était dit : « c’est toujours le même spectacle depuis 30 ans ils ne vont pas venir », alors PAF je dis que je vais faire mes adieux. Très très bon argument publicitaire.
Ils se sont dit « allons-y alors on la verra plus après », mais je n’ai jamais songé une seconde à m’arrêter. (Chantant) Moi je veux mourir sur scèneee, devant des projecteeeurs ! Bien sûr.
Mourir, bien sûr mourir sur scène, mourir sur scène c’est mourir. C’est la punition de la mort. C’est pour ça que c’est plus grand que tout. Chanter des chansons avec juste un piano, qui est une version beaucoup plus serrée que ce que j’avais fait avec mon petit cantante de jazz. Ça me semble encore plus difficile que le cantante de jazz, on est encore plus dénudé. Plus je vieillis plus je me dénude, c’est formidable, tout du moins vocalement…
Des chansons nouvelles, et puis les chansons d’autrefois du répertoire. Des chansons écrites par Antoni Skycopoulos avec qui je partage la scène, qui chante avec moi et qui est au clavier.
D’abord Barbara au-dessus de toutes, je crois que j’ai été fan qu’une seule fois dans ma vie c’était de Barbara.
Bien sûr je le suis toujours. Il y en a plein d’autres, alors celles que je n’ai pas vues sur scène, je n’ai pas vu Marlène Dietrich, sur scène je suis arrivée trop tard il n’y avait plus de place. Ingrid Caven que j’ai vue sur scène aussi qui est absolument inouïe. Milva qui est une autre femme extraordinaire, une artiste extraordinaire. Elles m’ont aidée, donnée le courage d’aller sur scène.
Non, car je ne veux pas sortir de moi-même, je n’en suis pas capable d’ailleurs. Par contre avant d’entrer sur scène, j’écoute beaucoup beaucoup de chanteuses. Toujours des chanteuses, et ça me donne le courage de faire ce geste terrifiant qui est d’entrer en scène.
J’ai beaucoup travaillé Pierre-André Weitz, qui a fait presque tous mes costumes de Miss Knife depuis l’origine. Assez musical, assez pailleté, mais il faut quand même que j’ai un petit confort pour pouvoir chanter. Il y a quelque chose à trouver pour pouvoir chanter, pour se sentir bien dans son corps et pouvoir chanter à peu près bien.
Se sentir belle, oui bien ça même au saut du lit avec 40 de fièvre je suis ravissante. Sinon c’est le charme « show must go on », c’est ce que je me dis depuis fort longtemps.
Oui alors c’est toujours un moment très discuté, très pensé sur quelle réplique de quelle chanson Miss Knife se démasque. C’est-à-dire qu’elle enlève la perruque, mais elle se démasque pour avoir un autre masque. Donc c’est la superposition des masques. Quelqu’un m’avait dit dans les premières de Miss Knife « Le moment où tu fais ça, là on atteint la métaphysique », et je trouve que c’est sans doute vrai.
On croit qu’on se démasque, mais je pense que pendant un concert les masques tombent les uns après les autres jusqu’à arriver au salut. À une sorte de nudité, qui est la miséricorde. Quand ça marche.
Bah oui bien sûr, je danse. Le problème c’est que, des fois, le souffle est un peu remonté, alors faut pas avoir une chanson trop vocale, donc ça ça doit se construire aussi.
Du 7 au 12 novembre au Théâtre du Châtelet