« La déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui », la langue brisée de Nicolas Barry au Train Bleu

« (…) Tu le sais ça Que je te trouve très beau je te l’ai dit Souvent que ton visage Est ce que je préfère voir Plus que tout (…) »

Sur scène, il y a un bidon sur lequel est écrit « J’ai beaucoup pleuré », et quelques bouteilles d’eau. Il arrive, puis repart aussitôt. Il hésite. C’est dans ce geste, qui n’a l’air de rien, que se trouve déjà toute l’écriture à venir. Seul, il nous déballe son cœur en miettes, piétiné par John Ah-Oui, qui l’a aimé puis quitté. Une histoire d’amour qui finit mal, aussi mal que celle entre Rodrigue et Prouhèze. Une douleur éternelle, qui s’empare des humain·e·s qu’on abandonne.
Combien de textes, combien de chansons, combien de films ont été écrits sur ce sujet-là ? Et voilà que le miracle se crée : Nicolas Barry, avec quelques flaques d’eau, transcende l’exercice et vous laisse bouche bée, face à la douleur, mais surtout face au talent.

« (…) Les caméras de surveillance se sont arrêtées par pudeur (…) »

Son écriture ressemble à une chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker, qui aurait croisé le langage de Pascal Rambert. Comme chez elle, les phrases, souvent, restent suspendues. Et comme chez lui, la ponctuation est absente. Perdu dans sa douleur, ses respirations s’accélèrent, traduites par ces majuscules qu’il insère de manière passionnelle et aléatoire.
La temporalité s’envole, comme dans Le Soulier de satin, d’ailleurs, et l’amour perdu écrase la réalité d’un temps qui passe trop vite quand on est avec l’autre, et trop lentement quand on en est loin.
Il dit : « (…) on peut vivre le même instant à peu près autant de fois qu’on veut Et à l’identique En faisant un petit instant Pardon pardon petit effort À peu près autant de fois qu’on veut Et à l’identique (…) »

Il dit aussi : « Comment tu sais que je pense À toi tous les jours en pleurant Comment tu sais que je te cherche dans la rue Et que je me prends les pieds dans les trottoirs Des fois parcque J’ai cru T’apercevoir Partant ou tenant la main de quelqu’un d’autre (…) »

« (…) Te prendre la bouche Et le reste (…) »

Il dit au bord du bégaiement, ce gouffre qui s’infiltre entre le tout et le rien, le grand vide, la grande plongée dans la douleur. Il raconte une histoire banale : il le voit un jour, il le regarde, lui aussi le voit, le regarde. C’est trop tard. Ses yeux dans ses yeux, ses yeux sur ce visage-là. Trop tard, il est cuit.

Nicolas Barry, que nous avions découvert chorégraphe dans La Demande d’asile au festival Artdanthé, commence à s’installer confortablement dans le paysage performatif. Ses états de corps, ce poing serré qui voyage de sa taille à sa bouche, ses idées de mise en scène brillantes, qui révèlent une maîtrise de l’espace, et surtout son écriture, son écriture démente, font de son nom la révélation de cette édition du Off d’Avignon.