En clôture du Festival Actoral à Marseille, nous découvrons la dernière pièce de Samir Kennedy, qui une nouvelle fois nous entraîne sur les chemins de la mélancolie, inscrivant dans nos cerveaux des images très bien construites. Attention, ça pique un peu au cœur.
Welcome, bienvenu, welcome. Pour le moment, vous ne voyez rien, mais cela ne va pas durer. Vous êtes éblouis, mais si vous froncez les sourcils et passez votre main au-dessus, vous apercevrez une apparition faite d’un corps rejoint par un autre. Ils sont de dos, (presque) complètement nus, leur allure est vaporeuse, ils ondulent des bras, ils ne se retournent pas, ils longent le mur… mais de quoi ont-ils honte ? Pourquoi se cachent-ils ? La réponse arrive vite. Nous spoilions un peu, nous avouons, mais tous deux déroulent un collant caché dans leurs bottines à talons. Honnêtement, on n’avait pas vu le geste venir. Comment faisaient-ils jusque-là pour pouvoir avancer avec cette contrainte, celle d’un collant baissé au niveau des chevilles ? Vous avez déjà essayé ? C’est vraiment galère.
Samir Kennedy est le performeur à suivre. Nous l’avons découvert à la Ménagerie de Verre les saisons dernières avec deux pièces. En 2024, nous découvrions enfin le travail de cet artiste. Son nom était sur toutes les bouches de la communauté performative depuis plus d’un an, depuis qu’il avait joué au Théâtre de Vanves. La pièce The Aching et le film Réunion portaient sur les deuils et nos fantômes. Nous avons sombré avec lui dans son Chaos Ballad, créé en 2022, un numéro de clown-pédé-triste, comme il se définit. Triste, c’est le mot qui semble flotter sur toutes les pièces de Samir, alors que le garçon sourit à pleines dents et fait briller ses yeux. Pour It’s got legs !!!!, il pousse le curseur du faux-semblant encore plus loin.
Nous voici désormais sous les feux de la rampe : ils sont en forme de coquillages, afin de rajouter du kitsch au kitsch. Il y a un rideau qui occupe une minuscule partie de l’espace et, planqués ici et là, des objets, des éléments de costumes. Oui, des éléments, car on va vite le saisir : il est question ici de manque et de précarité, des sentiments comme des moyens matériels. Il y a bien une robe de diva, mais elle est coupée en deux, une partie pour chacun des danseurs, Samir et Sean. Il faut être deux pour s’en sortir. Mais comment faire pour se rejoindre, pour ne faire qu’un vraiment ? Rentrer dans le corps de l’autre, oui, de façon frénétique, en se transformant en une poupée de chiffon qu’on agite ? Cela marche un temps ; ce serait drôle, même si ce n’est pas si pathétiquement sombre.
Ou bien faire le show, vraiment, comme si tout allait bien, en reprenant toute la gestuelle du cabaret : les jambes s’allongent, aidées par une main posée en haut de la cuisse. Du pur Liza Minnelli. Ils le font bien, excessivement bien même. Ils savent répéter le geste à l’infini, entrer et sortir de scène, se changer en une seconde, sans jamais pouvoir totalement se rassembler avec eux-mêmes. Ils se collent, tentent encore de s’enfuir, mais c’est trop tard : il faut danser, chanter, et en rythme.
On a le droit quand même de fumer une clope et de boire un verre entre deux numéros. Bien sûr. Mais il est déjà temps de recommencer, quitte à en perdre sa perruque, elle fera bien sa vie toute seule, elle aussi, en autonomie. Et quitte à perdre ses jambes aussi : on en trouve de fausses qui font très bien l’affaire, toutes aussi fines et ornées de bas.
Quitte à performer, autant le faire sur la voix et les mots des plus désespérées des divas : Marilyn Monroe et Jane Russell racontant dans A Little Girl from Little Rock comment un homme a brisé leur cœur. Et à bien les regarder, on sait qu’ils font avec, mais qu’ils ne s’en sont pas vraiment remis.
Au bout du compte, It’s got legs !!!! est un vrai numéro de cabaret, qui en comprend tous les passages obligés : le chant, la danse, l’allure. Est-ce que c’est un cabaret ? Non, bien sûr : c’est une nouvelle plongée dans l’univers chaotique, triste et attachant de Kennedy. Avec Sean Murray, il forme un duo de pin-up étranges et entêtantes.