En ce second weekend, Village de cirque de la coopérative 2r2c programme la nouvelle création du Cirque Queer, un cabaret intitulé Il n’y a pas que les chat·tes qui ont 9 vies. Fidèle au format choisi, le spectacle recèle quelques magnifiques pépites.
Il n’y a pas que les chat·tes qui ont 9 vies se présente comme un « cabaret néo-traditionnel », comme le précise d’ailleurs d’entrée de jeu la maîtresse de cérémonie, Mona LaDoll – absolument fabuleuse dans ce rôle. Il faut donc s’attendre à une succession de numéros sans qu’il n’y ait nécessairement de liens entre eux – en dehors du fait des présentés par des « merveilles », mot qui remplace ici « freaks » –, des moments de trouble érotique et d’effeuillage burlesque, de la musique jouée en direct – qui louvoie habilement d’Eric Satie gymnopédié avec délicatesse sur le piano de Simon Rius à l’électro puissante de Jenny Victoire Charreton – et des textes forts, que ces derniers soient mis en chansons ou juste déclamés. Surtout, le cabaret est un état d’esprit et une ambiance, ce qu’ont très bien compris à la fois les artistes et performeureuses, et les spectateurices venu·es les acclamer : c’est un spectacle qui se fait ensemble, dont la puissance ravageuse n’existe pas sans que la scène ne donne la main à la salle et réciproquement.
La totalité de la proposition est qualitative – et diablement enthousiasmante – et les amateurices de cabaret drag et queer s’y trouveront parfaitement à l’aise. On en retient surtout, à posteriori – mais il s’agit là d’une affirmation empreinte de subjectivité – les textes, poignants, beaux à crever. Mona LaDoll a une telle présence qu’elle est capable de river un auditoire au fond de son siège juste avec un discours et un regard ; Marthe R. Calvaire, comme dans Le Premier Artifice, présente son numéro de chaînes aériennes en parallèle avec un texte magnifique ; Sandra Calderan surtout nous prend par surprise et nous cueille au vol avec un texte slamé particulièrement incisif, après avoir joué la stage kitten remixée en stage mamma pendant tout le show. Comme dans le Premier Artifice, les mots disent la peur et la colère, les maux et les épreuves, mais aussi et surtout la résilience, la joie de se (re)trouver et de se (re)connaître, la puissance de la sororité, la nécessité de se regarder le coeur sous la carapace.
Côté performance, les performeureuses ont de la prestance, de la présence, de l’éclat, de l’audace : bref, iels ont de la bouteille et cela se sent. Il n’y a pas que les chat·tes qui ont 9 vies commence par un numéro assez clownesque d’Andrea Vergara, qui vire à l’effeuillage et se termine avec des sangles : cela donne plutôt bien le ton du reste du show. Le drag vulgaire et flamboyant de Thomas Boticelli impressionne. L’effeuillage burlesque de Mona LaDoll est riche de tout ce qui peut rendre ce genre de numéros intenses : une inoxydable élégance alliée à une brillante audace. Simon Rius ajoute à sa prestation une belle dose d’humour, pour pimenter un effeuillage déjà particulièrement réussi. Il y a du strass et des paillettes, il y a de la provocation et du second degré, c’est parfaitement réjouissant.
Côté cirque, la troupe n’est pas non plus en reste. Peut-être le numéro de chaînes aériennes de Marthe R. Calvaire est-il celui qui nous a le plus marqué – encore une fois, en toute subjectivité – car, pour être court, il est particulièrement fort symboliquement, très physique, et préparé par une entrée en matière qui le charge particulièrement émotionnellement. Mais les autres numéros charment tout autant. Notamment, deux des artistes se succèdent au trapèze, avec une superbe capacité à se l’approprier avec une signature forte et distincte : là où Mounir·a Taïrou aborde l’agrès avec une puissance contenue, Thomas Boticelli s’en empare avec une maîtrise explosive et éblouissante.
On ne peut, finalement, que relever la qualité musicale de l’ensemble, qui est essentielle au genre cabaret. Eric Satie et Jenny Victoire Charreton, qui se partagent la tâche de jouer l’accompagnement musical en direct, l’un·e sur son piano et l’autre sur ses machines – même si cette dernière dégaine sa clarinette basse à un moment –, assurent parfaitement leur rôle. Les deux savent s’effacer quand il convient, les deux sont capables de délicates modulations pour ne pas parasiter le texte ou l’émotion d’un moment. On peut juste regretter que la position de leurs instruments ne leur permette pas d’être en lien avec la proposition corporelle des autres artistes, puisqu’iels leur tournent le dos.
Il n’y a pas que les chat·tes qui ont 9 vies est encore tout frais, avec la touchante fragilité que cela peut impliquer à certains moments ; dans l’ensemble, cependant, le rythme est très bien tenu, et la proposition dans son ensemble est joliment tendue. Reste à parfaire les lumières, et, peut-être, même si on voit bien en quoi ce cabaret est destiné à se poser au milieu du décorum des lieux qui pourraient l’accueillir, à travailler une scénographie un peu plus flatteuse – un peu étrange qu’une proposition par certains côtés aussi raffinée soit présentée dans un écrin un peu fruste.
Visuel :® Loup Romer