À vos marques, prêt.es, partez ! Le Festival d’automne a ouvert sa grande pelouse, hier soir, avec une œuvre totale, faite de mots, de sons et de quelques animaux. Ultraficción nr.1 est le dernier volet d’un ensemble pensé par les géniaux Tanya Beyeler et Pablo Gisbert.
Depuis 2010, Tanya Beyeler et Pablo Gisbert s’intéressent spécifiquement à ce que sont nos sociétés occidentales au XXIe siècle. En ethnologues du temps présent, il et elle mêlent le théâtre, la danse, la lumière et le son pour provoquer des chocs esthétiques qui s’inscrivent dans le champ maîtrisé par Romeo Castellucci. En 2022, les spectateurs.rices du Festival d’Avignon puis celles et ceux du Festival d’automne découvraient les visions hallucinantes de Una imagen interior où le duo nous donnait à voir un monde fait de réminiscences et de disparitions. Le Festival d’automne nous propose de reprendre les choses à l’envers, puisque Ultraficción nr. 1 pose le premier jalon d’un work in progress dont le point culminant est Una imagen interior, créée en 2022. Entre-temps, en 2023, le collectif avait présenté une œuvre dans Paysages partagés à Vidy et à Avignon. Il s’agissait d’un bandeau à message électronique où nous nous faisions engueuler, nous humain.es par mère Nature.
El Conde de Torrefiel aime bien inverser les mécaniques de compréhension. Ultraficción nr. 1 nous place en extérieur. À Paris, cela se passe sur la Pelouse de Reuilly, lieu classique d’accueil pour le cirque, notamment le festival Village de Cirque qui s’ouvre aujourd’hui et a un rôle central dans la pièce de la compagnie. Car dans cette expérience, les éléments entourant la représentation sont pré-intégrés à la représentation. Le duo s’amuse du contexte territorial – ici une pelouse aux allures de forêts, en bordure de Paris, métro Porte de Charenton. Les 200 spectateurs.trices sont assis par cinq sur des bancs face à un immense écran. Il a fait 34 degrés dans la journée, et au milieu des arbres, à l’abri des pins provençaux, il faisait presque frais. La sensation corporelle est totalement intégrée au spectacle, elle est même une actrice puisque pendant toute la représentation, le public lit.
Oui, le public lit. Il ne fait « que ça ». Sur l’écran défilent des histoires qui se dévorent, comme si nous tournions tous.tes ensemble les pages d’un même livre dans un geste collectif. Les histoires sont terriblement bien racontées. Elles nous parlent de réfugié.es, d’un avion, d’une fête qui se passe là, tout près. Et à chaque fois, alors que l’on pense que l’histoire se finira bien, l’inverse se passe. On vous l’a dit, El Conde de Torrefiel aime bien inverser les mécaniques de compréhension. El Conde aime bien les choses très formelles, il a une passion pour le cadre, le carré. La pièce rappelle que le carré n’existe pas dans la nature. C’est vrai. La proposition est très moderne dans le sens où elle convoque la technique et le merveilleux. Il se passe des événements, il y a des apparitions, qui viennent nous surprendre. La forêt danse pour de vrai. Des chèvres bien dirigées se laissent caresser. Une voiture démarre en trombe pour faire baisser la sono qui déballe la techno enivrante de Cyanure Dance. Le son est essentiel dans ce spectacle qui convoque de la « musique lourde et aride » tout le temps. Du métal, de la techno donc, même la pop de Low (et c’est trop beau, écoutez).
La pièce est un voyage intense au pays de la fiction, une fiction ultraréelle où nos sens les plus archaïques sont mis à contribution. Encore une fois, El Conde nous fixe des images dans le cerveau pour toujours. À voir absolument !
Visuel : ©Inès Bacher
À voir jusqu’au 9 septembre, gratuit sur réservation
À noter, El Conde de Torrefiel sera en résidence tout le mois d’octobre à la Maison des Métallos, toujours en lien avec le Festival d’automne. Informations.