En clôture du festival Everybody, ce 13 février au Carreau du temple, la metteuse en scène et musicienne lituanienne nous offrait un moment de partage en toute proximité avec des interprètes tous et toutes porteurs.euses de handicap. Sensible et touchant.
Le public est placé en tri-frontal. Rapidement, les interprètes prennent la parole de leur place. Loreta Taluntytė, Kristina Šaparauskaitė, Oleg Dlugovskij, Božena Burokienė, Justina Platakytė, Juozas Čepulis et Mantas Stabačinskas sont assis.e.s au milieu de nous, nous, et occupé.e.s à nous installer, nous ne les avions pas remarqué.e.s. C’est là l’objectif de Feast, rendre visible et audible ce qui, particulièrement en Lituanie, ne l’est pas. Selon la jeune metteuse en scène, le handicap est souvent dissimulé dans la sphère sociale. Elle cite une donnée frappante : « En Lituanie, pays où, selon les statistiques officielles, les personnes handicapées représentent 9 % de la population, et où la majorité des personnes valides déclarent fermement qu’il n’y a pas du tout de personnes porteuses de handicap sur le territoire. »
En cela, la pièce est plutôt une expérience qu’une performance. Chacun.e leur tour, ils et elles prennent la parole, en restant assis.e.s. Le premier écueil, scénographique pour le coup, intervient. Les traductions imposent au public majoritairement non lituanophone de tourner les dos, au moins le visage, à celles et ceux qui parlent. Cela va totalement à contresens de l’objectif de cette performance qui vise justement à rendre visible les invisibles.
La troupe est extrêmement attachante. Il est impossible de rester insensibles face à ces histoires que nous lisons. Il est question de lourdes incompréhensions, de contresens, de hontes, de courage. Le chemin pour tous et toutes est long pour s’accepter telles qu’ils et elles sont. Pour simplement être fière.s d’elles et eux et s’aimer, tout simplement. Feast renverse l’idée d’inclusion, ce n’est pas aux valides de faire de la place aux non valides, mais bien l’inverse. Ici, celles et ceux qu’on ne voit pas finissent par devenir très visibles, au centre de la scène, jetant leurs colères, ou leur chaise à nos pieds, nous faisant rire d’un jet de confettis ou d’une danse en miroir. Néanmoins, Kamilė Gudmonaitė fait fi de toutes les esthétiques du théâtre contemporain européen, alors que ces dernières années, justement, la frontière entre handicap et non handicap s’abaisse de plus en plus. Particulièrement depuis le début du siècle, les choses bougent. On a pu voir Jérome Bel et son Disabled Theater, tout le théâtre de Pippo Delbono. Récemment, à la Bastille, Back to Back Theatre utilisait également les ressorts du témoignage pour encore et inlassablement détruire les préjugés et les poncifs sur des différences qui n’en sont pas.
Dans tous les exemples cités, le combat s’accompagne d’une écriture dramaturgique solide et fluide. C’est cela qui manque à Feast pour pouvoir sortir d’une expérience bienveillante, attachante afin de devenir une performance puissante.
En tournée
Visuel ©D.Matvejev