Dans le cadre des Olympiades Culturelles, le metteur en scène Bartabas s’empare de la Grande Halle de La Villette pour proposer Noces de Crins, un spectacle dans lequel il a réuni deux grandes académies équestres : l’Académie Équestre de Versailles, qu’il dirige depuis 2003, et le Cadre Noir de Saumur ! Une rencontre au sommet, aussi singulière que saisissante, qui nous a présentée un spectacle harmonieux et poétique !
Noces de Crins réunit deux écoles équestres majeures, et c’est pourquoi on y retrouve le répertoire classique du spectacle académique équestre : la reprise de dressage (structure fondamentale), le clavecin, la symétrie, l’équilibre du nombre pair … Du Cadre Noir, on retrouve la croupade (coup des postérieurs en arrières, les antérieurs posés au sol), et la courbette (cabré d’école), figures par excellence des grandes écoles équestres. Il y a aussi la sophistication des costumes, la rigueur des rubans, les statuts définis par l’uniforme et les enseignes, les cheveux strictement tirés. Quand il entre en scène, le Cadre Noir donne le ton de la virilité. Les voix ordonnantes des cavaliers et les croupades sèches rompent avec le silence des écuyères de Versailles. Et puis finalement il y a autre chose : la maîtrise du geste, la beauté de l’équitation classique, ses figures poussées, les jambes des chevaux qui s’étendent sur la piste pour une traversée rectiligne très poétique sous l’éclairage filtré de la Grande Halle. Du côté de Versailles, on retrouve la touche de Bartabas : les figures de dressage sont ponctuées de pluridisciplinarité. La présence de l’escrime peut être mis en lien avec le passé militaire des académies. Le chant et les chorégraphies, inspirés de l’univers de Zingaro, offrent toujours un moment lyrique qui suspend le temps et l’espace. La sobriété des costumes aux couleurs naturelles. Face à la parfaite maitrise de Saumur; les chevaux de Versailles en liberté sur la piste. Les écuyères ont les cheveux détachés. Un lâcher prise finement contrôlé.
C’est cet aspect qui fait la réussite du spectacle. Noces de Crins ne vise pas à réunir des cavaliers d’univers différents pour constituer un registre nouveau pour tout le monde. Au contraire. Bartabas fait le choix de créer un spectacle en conservant l’identité de chacun. Le spectacle fonctionne alors comme une très belle rencontre auquel on est sensiblement ému de pouvoir assister, car il est rare de réunir deux académies aussi prestigieuses sur la même scène. Chaque cavalier monte avec son histoire, son grade, et son institution, ce qui permet de faire émerger avec clarté la particularité de chaque académie. Alors qu’elles peuvent être pensées très similaires pour un public lambda, Noces de Crin met en lumière le patrimoine singulier de chaque école. Durant 1h10 s’enchainent les figures aussi belles les unes que les autres, les croisements, les slaloms, les changements de pieds au galop, les pirouettes… dans des enchainements souples, fluides, et des chorégraphies harmonieuses, portées par un jeu sur la couleur des robes et sur le nombre de cavaliers.
Sur scène, écuyers et écuyères évoluent au rythme régulier de la musique qui a un petit quelque chose en plus : durant tout le spectacle, le répertoire de Bach est ponctué des touches électros du groupe Arandel ! Et cet univers sonore est une vraie réussite ! Non seulement l’électro apporte de la modernité en cassant le classicisme souvent associé au spectacle académique, mais en plus, les allures se mêlent bien aux notes d’Arandel. Au pas près, tout s’emboite parfaitement.
A quelques semaines des Jeux Olympiques 2024, il aurait été dommage de ne pas mettre à l’honneur l’équitation, réel domaine culturel à part entière. Bien que le sport en club souffre aujourd’hui d’une image élitiste à cause des prix de la discipline, le cheval a pourtant longtemps été présent dans de nombreux corps de métiers, bien avant de devenir un sport. Alors qu’on le retrouve toujours dans la police, qui monte à cheval dans la Garde Républicaine, ou dans les rangs des gardes forestiers, le cheval a longtemps été un moyen de transport terrestre et un corps de l’armée. L’École Nationale d’Équitation du Cadre Noir de Saumur a d’ailleurs été créé en 1815 pour former les militaires qui reconstitueront la cavalerie, décimée par les guerres napoléoniennes. C’est seulement à la fin du XIXᵉ siècle que l’équitation commence à devenir une pratique sportive. C’est le grand succès, toute la bourgeoise se retrouve aux courses ! Degas, Géricault, ou encore Manet, se pressent aux bords des pistes pour croquer les jockeys. Six hippodromes ouvrent à Paris entre 1845 et 1900. En 1866, le premier Concours Hippique est organisé au Palais de l’Industrie. Alexis L’Hotte, alors directeur de l’École National d’Équitation du Cadre Noir de Saumur, autorise pour la première fois une sortie exclusivement sportive des élèves. L’équitation fait même son entrée aux Jeux Olympiques modernes dès la deuxième édition, en 1900 ! Durant l’Antiquité, les chevaux n’étaient présents aux JO que pour les épreuves de courses en char. Finalement, l’équitation se démocratise comme discipline sportive dans les années 1970. Aujourd’hui, l’Académie équestre de Versailles et le Cadre Noir tendent à protéger les savoirs d’une équitation d’excellence en la transmettant aux écuyers qui deviendront eux-mêmes professeurs, au Cadre Noir, à Versailles, ou en centre équestre. Bien qu’il reste des militaires au sein du Cadre Noir, l’institution est rattachée… au Ministère des Sports depuis 1972 !
© Benoit Lemaire _ IFCE
Du 16 au 23 juin 2024, Grande Halle de la Villette
Lundi, mercredi, jeudi : 20h30
Samedi : 19h30
Dimanche : 17h