Comme le veut la tradition, le gagnant, ou la gagnante du collège « théâtre » de la Biennale College Teatro – moins de 35 ans présente la version finale de son projet l’année suivante. Cette année, Ciro Gallorano présente donc, à la Biennale de Venise, Crisalidi, une pièce qui soulève de nombreuses questions sur le fond et la forme.
Crisalidi est une œuvre de performance pure. C’est un théâtre de forme, sans parole, qui, à la façon d’un Romeo Castellucci, pose des objets et des images à regarder. D’ailleurs, la première image est superbe. On y voit Andreyna De la Soledad sauter à la corde de dos. Le geste enfantin vient être brisé immédiatement par le grincement du son et par la scénographie qui semble hurler « maltraitance » dans tous ses symboles. Comme dans les performances de Jan Fabre dans les années 90 ou celles de Marina Abramović, les objets très quotidiens sont des supports à l’angoisse. On voit une structure représentant une maison aux murs qui se déchirent, une baignoire à pied, des miroirs, une paire de chaussures d’écolière et un bureau. Sara Bonci apparaît, comme sortie d’un film de Stanley Kubrick, inquiétante à souhait, le regard hagard dans sa robe à fleurs. La pièce est censée être un hommage à Francesca Woodman et l’on comprend que les éléments du décor et du récit en images sont là pour raconter la violence et le génie de sa si brève existence.
Malheureusement, la proposition ne quitte jamais ces références aux grandes performances de la fin des années 90 et du début des années 2000. Plus problématique, elle convoque des images qui sexualisent les femmes sans aucune explication valable. Le sexy et le nu interviennent dans des postures au premier degré voyeuristes. Contrairement aux performeureuses post-metoo qui prennent en charge leurs corps, ici, le duo offre des images qui perdent le message de la pièce sur à la fois la sororité et les violences. À nous d’imaginer, entre inceste, viol et coups, tout ce qui peut se tramer derrière les murs qui saignent.
Si Ciro Gallorano convoque des images superbes, elles semblent pour la plupart déjà délavées. Il est impossible de ne pas citer encore Castellucci, tant les coïncidences fusent : les arbres morts, le sable qui tombe, les vitrines enfermant des corps, le plastique comme vague. La performance n’innove pas assez sur sa forme pour nous toucher et elle n’interroge pas assez la façon dont il faut accompagner la nudité qui est artificielle, car elle reste figée dans un récit très littéral, où les tableaux se succèdent sans cohésion entre eux.
Il faut comprendre que le prix du collège « théâtre » récompense un projet à son état embryonnaire. Quelquefois, la transformation ne se fait pas, c’est la loi du spectacle vivant !
En attendant, vous pouvez, si vous êtes à Venise, aller voir la suite de la Biennale avec les 28 et 29 Food Court de Back to Back Theatre, qui vient de recevoir le Lion d’or théâtre, ou encore les 25 et 26, Phobia de Markus Öhrn.
Visuel : ©Biennale de Venise