Après sa création à Avignon, Kill me est repris au Théâtre du Rond-Point. Cette pièce de femmes en forme de manifeste universel interpelle autant qu’elle éblouit.
Dans le percutant Dämon (bientôt repris au théâtre l’Odéon), Angelica Liddell quitte la scène sur ces mots : « Elle s’en va et se tire une balle dans la tête ». Elle n’en fait heureusement rien, mais, par cette expression, elle nous rappelle que le théâtre peut tout, même tuer l’artiste en scène, parfois pour mieux le ressusciter. Pour sa part, Marina Otero nous lance « Kill me ». Si l’on s’en tient aux déclarations d’amour qu’elle lui fait, l’artiste, danseuse et performeuse argentine est une admiratrice de la Liddell. Par son langage, par sa manière de se mettre à nu, par son ton percutant, par l’usage parfois assourdissant de la musique, on ne serait pas loin de dire qu’elle en est aussi une disciple.
Dans l’éblouissant Fuck me, Otero parlait sexe et handicap, et donnait la parole à ses hommes-objets. Dans Kill me, l’expression est d’abord corporelle, mais les femmes-sœurs présentes sur scène veulent aussi nous raconter leur histoire singulière. Ces femmes, si l’on croit Otero (faut-il croire – même si on s’en fiche bien – celle qui déclare dans Libé « Je ne souscris aucun pacte de la vérité avec le public » ?), sont « borderline », bipolaires ou schizophrènes.
C’est en partant d’elle-même qu’Otero démarre son récit. Elle le fait à partir de fragments saisis par son téléphone portable lors de la relation violente et toxique et de la rupture avec son compagnon puis de la plongée en dépression qui a suivi.
Sororité, mise à nu ou mise à mort
Chez Otero, la puissance du récit passe par à une mise à nu de l’esprit et du corps et, pour se défendre des agressions extérieures, les femmes en scène, devenues sœurs de combat, endossent des protections (des genouillères, car leurs jambes n’hésitent pas à durement rencontrer le plancher de la scène). Elles s’arment aussi de revolvers ou de gants de boxe. Côté face, elles refoulent l’idée du suicide, côté pile, elles nous adressent le message que la violence à leur égard n’est pas tolérable et ne sera plus tolérée.
Ce faisant, toutes en scène (superbes Ana Cotoré, Josefina Gorostiza, Natalia Lopéz Godoy et Myriam Henne-Adda) semblent parler de toutes les femmes. Et aussi un peu des hommes puisque Tomás Pozzi se met dans la peau d’un inhabituel Nijinski qui n’en peut plus de suivre le rythme effréné des femmes et de se faire traiter de nain. Et il y a aussi celles qui sont parties, les célèbres comme Marilyn Monroe et Lady Di, et il n’est pas interdit de vilipender Elton John, bien peu imaginatif quand il s’est agi de rendre hommage à cette dernière.
De la violence, il y en a dans Kill me. Mais Marina Otero ne se limite jamais à cela, car le propos a un peu forme thérapeutique, et les perspectives restent optimistes. Malgré le naufrage de sa relation amoureuse, Marina ne cesse de croire en l’amour. Elle et Myriam Henne-Adda, sa sœur chanteuse, affirment aussi que quand il est beau, il peut enfanter « L’hymne à l’amour », la plus belle chanson du monde que Piaf dédia à Cerdan disparu dans le crash de son avion.
En abordant un de ses spectacles, on ne sait jamais ou Otero va nous emmener. Finalement ce Kill me a autant pris la forme d’un récit qu’il nous a exposé des témoignages et des engagements. En cela, la pièce est moche comme la vie et belle comme du théâtre. Et l’on ne peut s’empêche de dire : « Marina, reviens vite nous raconter tes histoires et celle de l’humanité ! ».
En tournée, le 5 novembre à l’Onde dans le cadre d’immersion danse. À noter, que de façon exceptionnelle, Marina Otero donnera un workshop les 6 et 7 à l’intention des danseurs et danseuses professionel.l.e.s
Visuels : © Teatro Madrid, © Nora Lezano