Le festival Jogging du Carreau du temple revient en force cette année, du jeudi 22 au dimanche 25 mai. Arno Ferrera, qui performera Armour le 23 et 24, nous en dit plus…
L’un des moteurs de notre recherche artistique, celui qui a guidé la création de ce spectacle, c’était l’envie d’incarner une transformation de la violence. On a donc choisi d’interroger les masculinités, en les plaçant dans une dynamique de changement nécessaire. La virilité et l’intimité entre hommes sont encore trop souvent perçues comme incompatibles. Pour nous, il était évident qu’il fallait les faire dialoguer, et construire un spectacle où cette intimité puisse exister de manière simple, fluide, presque évidente. Et au-delà même des masculinités, l’intimité entre les personnes, quels que soient leur genre ou leur orientation, est fondamentale. Ça demande un travail sur soi, un lâcher-prise, un tas de sensations partagées. Une chaleur humaine nécessaire.
Dans notre trio Armour, on propose avant tout une forme d’amour multiple, qui questionne les normes habituelles autour des relations amoureuses. En lien avec la masculinité, on pourrait dire que ce qu’on cherche à transmettre, c’est un état d’abandon à l’autre. La masculinité qu’on explore sur scène passe surtout par la communication tactile — c’est vraiment l’une des spécificités du projet. On joue avec certains stéréotypes : au départ, on les reproduit volontairement, mais au fil du spectacle, on prend beaucoup de plaisir à les détourner. Sans inhibition, avec douceur, et pas mal d’autodérision.
Dans ce trio, nous parlons de transformation de la violence parce que nous avons effectivement un rapport personnel à la violence, qu’elle soit physique, psychologique ou sexuelle, et dans les trois cas perpétrée par des hommes. Avec ce spectacle, nous cherchons à transformer ces expériences individuelles en une réflexion plus universelle qui ramène à la douceur et à l’abandon à l’autre. C’est pourquoi ces expériences ne sont pas du tout le thème principal du spectacle, mais plutôt les éléments déclencheurs de notre désir profond de changement et de transformation. Sur scène, nous soutenons et mettons en corps le plaisir d’une intimité partagée et désirée.
Dans les sports les plus violents, les protections sont bien sûr indispensables, mais elles portent en elles un certain paradoxe. Elles sont là pour limiter la douleur et les impacts, c’est clair, mais en même temps, elles poussent souvent à aller plus loin dans la violence, parce que justement, on ressent moins les coups. On pourrait dire que plus on est protégé, plus on se sent prêt à encaisser des chocs, voire à en provoquer. Ce qui nous intéressait, c’était de voir comment ce type de protection, qui sert normalement à créer de la distance, peut aussi devenir un moyen d’être plus ouvert à l’autre. Comme si, en se protégeant, on pouvait en fait se permettre d’être vulnérable — et donc, plus disponible à une forme de contact intime.
Plus qu’un message à faire passer, ce qu’on aimerait, c’est que le public traverse différents états, comme nous sur scène. On s’est aussi rendu compte que chaque personne vit ce spectacle très différemment — sûrement selon son propre parcours, sa manière d’être en lien avec l’intime. Et justement, cette dimension intime, elle se partage vraiment avec le public, puisque les spectatrices et spectateurs sont assis tout autour de la scène, en trifrontale, avec trois gradins qui l’enveloppent. Du coup, tout est visible : nous, mais aussi le public. Le regard peut circuler, se poser sur ce qui se passe sur scène, mais aussi sur d’autres personnes en train de regarder. Avec Armour, on propose de déplacer un peu ce regard, d’ouvrir à d’autres manières de voir. Ce qu’on défend, c’est une vision de l’amour libre, pluriel, généreux. Et ce qu’on cherche à chaque fois, c’est que la performance se vive dans une complicité joyeuse avec le public.
Vendredi 23 mai et samedi 24 mai 2025 à 22h, au Carreau du Temple.
Visuel : © Florian Hetz