Le méta-théâtre serait-il la nouvelle tendance des scènes les plus contemporaines ? Comme un écho non choisi avec Brotherhood de Carolina Bianchi vu la veille au KVS, l’immense révélation Alberto Cortès s’attaque lui aussi à ses propres entrailles pour négocier avec ses démons. Magistral.
Pour le dire simplement, Analphabet est exactement ce pour quoi il ne faut jamais rater une édition du Kunstenfestivaldesarts. Ce festival est de loin celui qui repère ce qui fera l’avenir du spectacle vivant. Il y a deux ans, par exemple, le théâtre documentaire était légion avant que cela ne devienne la norme en France l’année suivante. Alberto Cortès témoigne dans son corps de ses douleurs, cela, c’est classique dans la performance, mais là où le pas de côté est fascinant, c’est que, comme chez Carolina Bianchi, il se fout de faire de son cas une généralité. Cela vous touche, cela vous concerne, vous parle ? Peut-être, mais ce n’est pas l’objet. Non, l’objet est de prendre la scène autrement, comme un espace de témoignage, mais en l’inscrivant dans une écriture esthétique puissante. C’est une révolution de forme dont, pour le moment, en France, seule Laurène Marx est capable.
Mais peut-être avez-vous envie qu’on vous raconte un peu, non ? Ok. Tout commence dans la pénombre. Il y a une violoniste qui joue pour domestiquer la violence, et puis il y a une ombre spectrale qui semble être en mouvement. La sensation devient un fait, quand progressivement la lumière se fait sur ce corps très mince, juste vêtu d’un petit slip noir très échancré, assez pour souligner de façon très explicite la forme de son sexe et ses fesses. Il va se mettre à nous parler, en se présentant tel « un fantôme pédé andalou ». Son corps se tient comme s’il allait chanter (d’ailleurs, il chantera) sur une scène de cabaret. Le dos cambré, les jambes en dedans et les mains ouvertes, sa silhouette fragile donne immédiatement envie de le sauver. Mais de quoi ?
Eh bien, d’un homme visiblement qui l’a quitté et qui lui manque terriblement. Alors, il sort de son jardin secret et fleuri, dégage toute tentative de décor pour nous livrer son corps et son cœur en miettes. Il dit « je », mais convoque en réalité les figures très drama queen de la culture andalouse, où il est de bon ton de mourir d’amour à 20 ans.
Le texte, tout comme chez Carolina Bianchi, est un acteur à part entière dans la performance. Il parle de la douleur du manque avec une élégance et un humour tout en équilibre. Plus la pièce avance, plus on tombe follement amoureux et amoureuse de cet artiste-là. La pièce tient sur une dramaturgie parfaite d’un bout à l’autre, de la pénombre à la lumière, du fantôme au vivant. Il ne lâche jamais son fil tout en le faisant évoluer dans des glissements au sol, des spots rouges ou des interpellations avec le public. Le cabaret n’est pas loin dans son approche de la scène ; d’ailleurs, il sait à merveille nous faire rire du pire, « ivre et travesti », et nous, on plonge avec lui, son écriture, son esthétique, et on en redemande, encore.
Jusqu’au 12 mai au Théâtre des Tanneurs.
Le Kunstenfestivaldesarts se déroule à Bruxelles jusqu’au 31 mai.
Visuel : Analphabet-Alberto-Cortes © Alejandra Amere