À la MAC, dans le cadre de la biennale des arts numériques, NEMO, Joris Lacoste& HYOID voices réactivent A-Ronne de Luciano Berio, pièce pour huit voix ( 1974-1975) d’après un poème d’Edoardo Sanguineti. Immersif.
Avec La muse en circuit pas question de s’installer dans une écoute passive. Ce Centre national de création musicale créée en 1982 sous l’impulsion du compositeur Luc Ferrari nous plonge avec chaque production dans des univers radicalement contemporains, affirmant ainsi une grande liberté dans ses choix. Le son, les musiques nouvelles de tous types, l’imbrication de matières voix – textes – corps composent le matériau des œuvres qu’il propose au public, que ce soit des créations électroacoustiques, des œuvres radiophoniques, ou des pièces du répertoire contemporain. A-Ronne de Luciano Berio de 1974 – 75, pièce pour huit voix d’après un poème d’Edoardo Sanguineti s’inscrit dans ce panel.
Un casque sans fil sur les oreilles nous avançons dans la pénombre du backstage de la Maison des arts de Créteil. La semi obscurité du plateau où nous arrivons est intrigante. Des corps apparaissent et disparaissent dans un brouillard léger ou bien est- ce de la fumée. Des sources lumineuses en forme de rosace, spatialisées, aux faisceaux parfois aveuglants, éclaire l’espace de façon alternative. Le prologue électroacoustique de Sébastien Roux qui nous enveloppe nous incite à déambuler dans cet espace légèrement insécurisant. Nos repères cèdent et les sens se mettent en jeu. Créer de la turbulence et de l’écho entre le son, l’espace, les corps … La musique amplifiée est stable, l’espace indistinct, les corps mouvants. Cette expérience du déplacement sensoriel voulue par Bério s’affirme dès le commencement de A-Ronne.
Deux chanteuses – actrices – danseuses traversent l’espace en courant, vêtues simplement (pantalon noir et tee shirt coloré). La pièce A-Ronne commence. L‘ensemble des interprètes occupent peu à peu le plateau, déambulent avec nous, proches ou éloignés, nous obligent à bouger si l’on veut les voir. Ils se déplacent, exécutent des chorégraphies simples, parfois en solo parfois collectivement comme un quatuor baroque vocal et corporel assez réjouissant, marque d’un compositeur hors normes, des chutes au sol. Les corps jouent de la proximité. Leur présence physique et active, mise en espace par Joris Lacoste et chorégraphié par Claire Croizé, construit l’expérience. La musique qui nous arrive par le casque nous isole, les corps en mouvement au milieu de nous crée du partage et de l’intimité. Des questions banales s’imposent : d’où vient le son ? Est-ce que le point où l’on se trouve change l’écoute ? Comment est-il traité pour arriver dans nos casques ? Les chanteurs chantent – ils en direct… ? J’ai soulevé mon casque de mes oreilles et j’ai entendu leur voix plus ténue, leur souffle proche du mien…Le casque propose un jeu différent, un jeu de corps et d’espace et de partie de cachette…
Humour et décalage, mélodie, clameurs et déclamation, cris et jeux de mots, la musique est composite. Çà tousse aussi et ça fait des youyous ! Luciano Berio défendait l’idée d’un Théâtre d‘oreille, ce spectacle répond parfaitement à son souhait. Pour le spectateur, cette expérience, très années 70, fait resurgir l’inventivité qui a animé les arts du spectacle dans ces années – là, teintée d’une pointe de nostalgie face à l’indépendance d’esprit que cette période portait.
Visuel : ©Isabel Pousset