Pendant trois jours, La Pop, la péniche spectacle à la programmation pointue, faisait corps avec son élément, l’eau, pour en faire sortir un peuple mi-femmes, mi-poulpes. Drôle, bizarre et beau.
Tout commence par un noir où l’on devine au loin, au fond de la cale, un tas de trucs. Comme un amas de sacs-poubelle dont vont s’extraire, progressivement, Anna Chirescu, Cathy Gringelli, Violaine Lochu et Yael Miller. Elles vont d’abord rester cachées, tapies, puis se découvrir en posture de l’enfant, puis se redresser, longtemps après. Elles parlent, non, elles vocalisent, non, elles chantent. On ne sait pas, le tout est décalé comme dans une pièce de Philippe Quesne. Ici, les choses absurdes sont faites avec beaucoup de sérieux.
Le spectacle tourne autour du bleu. La couleur de l’eau, du ciel et aussi du vague à l’âme. Elles errent dans leurs relations, doutent, choisissent le cri profond de la colère. Il en faut, de l’écoute et de l’entremêlement, jusqu’à confondre les bras et les jambes, jusqu’à devenir un seul animal. Un poulpe sans doute au regard des tentacules que les quatre interprètes s’amusent à décliner follement. Elles sont Shiva autant que des formes sans nom. Elles ponctuent leurs voix de mains aux doigts très ouverts, à la façon de clowns, elles tournent les poignets comme dans un geste de Bollywood.
8 feet dance est tout autant un concert de musique contemporaine qu’une pièce de danse. Le spectacle croise délicieusement les mondes avec un humour qui se dévore et qui dégouline autant que la gélatine bleue dont elles se barbouillent le visage.
8 feet dance est surtout et avant tout une pure performance qui n’a de sens qu’une fois son rituel fini. Pour passer du noir à la lumière, du son au langage, de la solitude informe au collectif de femmes libres, il faut en intégrer tous les contours. La viscosité de la pieuvre, ici traduite dans les bassins qui fondent et les souffles qui puisent au plus profond, raconte cette histoire d’un animal au fort pouvoir d’adaptation. Une allégorie aussi folle que puissante de notre air du temps.
Visuel : ©lapop