En 2023, Agnès Mateus et Quim Tarrida s’emparaient de la scène du Théâtre de la Bastille pour faire exploser les haines millénaires envers les femmes. Aujourd’hui, le duo s’attaque au fascisme — passé, présent et futur — dans un geste de pure performance où la lutte passe par le corps, en l’occurrence les couilles des hommes les plus réacs.
« (…) Pour nous, la scène est un lieu d’où l’on peut parler. En Espagne, il s’agit généralement d’espaces publics et, de notre point de vue, ils représentent une responsabilité pour l’artiste. Nous l’utilisons comme un « podium », un endroit d’où nous pouvons parler d’une manière que nous n’oserions pas dans la vie réelle. (…) » Ces mots, Agnès Mateus nous les confie le 15 mars dernier, et ils sont toujours d’actualité. En bref, si elle monte sur scène, ce n’est pas juste pour faire joli — car oui, au passage, elle sait aussi faire du très beau, Agnès.
Donc, nous voici depuis maintenant 15 minutes en train de regarder le drapeau du franquisme. Quinze minutes, un public et un drapeau. Un drapeau qui, pendant 40 ans, a flotté sur l’Espagne et qui a fait des centaines de petits bien hargneux dans le monde entier. Elle nous dit, en silence, devant cet aigle aux griffes resserrées sur des colonnes, ces lions, ces chaînes, ces lignes orange et rouge, que les symboles parlent.
Pile dans l’air du temps, la pièce tente de répondre à une question essentielle : que peut la culture face à l’extrême droite ? En ce moment, ce sont donc trois pièces qui cherchent des réponses : par l’absurde dans Catarina ou la beauté de tuer les fascistes de Tiago Rodrigues, qui sera à l’Espace 1789 les 27 et 28 février ; par l’anthropomorphisme dans Les Chats de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, à la MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, du 10 au 12 avril ; et par la violence, jusqu’au 16 janvier, avec Patatas fritas falsas, dont nous sommes en train de vous parler.
Oui, la violence. Car Agnès Mateus, une fois que nous avons été sidérés par cette vision dictatoriale, passe aux mots, aux pires des mots. Ses paroles sont éructées sur un rythme techno. Elle assène tous les poncifs classiques entendus dans les bouches vomissantes des fascistes de tous les pays. Elle joint le geste et la posture. C’est comme passer une heure trente enfermé.e.s sur le plateau de CNews avec les 143 députés RN et quelques ministres en exercice, fans de feu Jean-Marie Le Pen. Vous voyez comment ça serre le ventre, comment ça fait monter la nausée ? Voilà, vous y êtes. C’est cela que l’on ressent devant ce spectacle : de la nausée oui, mais de la nausée salutaire.
Agnès Mateus bouffe la scène. Elle est concrètement un extraterrestre (vous verrez), un personnage de cabaret (vous verrez), un vieux tonton raciste bourré à Noël (vous verrez). Sa scénographie pose des actes : un petit Parlement en plâtre, une petite colonne, des lustres de toutes sortes au plafond et, comme chez Castellucci dans Bérénice, une machine à laver pour essorer encore plus les pensées minuscules et raccourcies. Elle bouffe la scène et en déborde dans tous les sens du terme.
Elle nous fait rire de ses excès, oui, rire. Mais tous les mots qu’elle prononce sont vrais et sont devenus la norme, le camp du Bien dans une inversion des valeurs que les démocrates de tous les pays ne peuvent plus endiguer. Alors, comme chez Tiago Rodrigues, Marlène Saldana et Jonathan Drillet, bien sûr, la pièce parle à des convaincu·e·s.
Comment sortir de l’entre-soi, comment faire face à des mastodontes de l’extrême droite, comment agir quand Elon Musk et Zuckerberg font alliance ? Que peut la culture ? Que peut la performance ?
Eh bien, elle peut faire ça déjà : nous remettre ensemble, un public ensemble, 260 personnes ensemble, comme dans un meeting. Et c’est utile, un meeting : cela sert à remotiver les troupes et à se dire que oui, si Franco et Marine peuvent devenir des pantins de théâtre, alors nous pouvons les manipuler avec une de nos armes : les mots, les images, la voix et … concrètement, les armes. Ce n’est pas rien.