Jusqu’au 14 décembre, sur la scène du Théâtre Ouvert, le jeune comédien et metteur en scène, Padrig Vion, présente deux pièces. Des amours contemporaines, des amours du 21è siècle. Dans « Drame Bourgeois », il explore la dynamique romantique qui s’échafaude entre une fille et un garçon, Louis Batistelli, qui se croisent mais jamais ne se parleront, vivront un amour et sa fin. Dans sa seconde pièce « Murmures », on retrouve Lomane de Dietrich, qui joue dans les deux pièces, cette fois-ci, c’est d’une rupture amicale dont il s’agit. Ce versant amicale de l’articulation complexe des relations contemporaine met face à Lomane, la comédienne Mélodie Adda. Rencontre avec Padrig Vion.
Je ne sais pas si on écrit autrement, mais moi je pense que je ne sais pas écrire différemment. J’écris pour des voix, des visages, et des corps. Mais je ne m’y limite pas. Par exemple, j’écris pour Lomane [de Dietrich], mais non pas pour ce qu’elle sait faire, ou alors pas que, mais aussi et surtout j’écris les endroits de jeu où je veux l’emmener. Je dis souvent ça, mais c’est comme de la musique. Ce sont des partitions pour des instruments que je connais, mais avec l’idée d’aller vers des sons qui leur échappent. Écrire pour des interprètes que je connais n’est pas une contrainte pour moi, au contraire, c’est un point de départ. Ça me permet de délimiter un terrain de liberté.
Les films des années 60 pour moi marchent comme des « fantasme », une certaine idée de la vie bourgeoise, qu’on désire autant que l’on s’en moque. L’amour comme l’aspiration sociale peuvent être des endroits forts de fiction, d’attirance et de rejet, et de déni aussi. Dans mes textes, ce rapport à la « classe » m’intéresse aussi et surtout pour son rapport au langage, une « hyperverbalisation » des sentiments. Ce qui me plait dans les films de Sautet par exemple, c’est cette idée de caméra posée comme un regard, un objectif subjectif. C’est aussi ce que j’essaye de faire, un regard doux amer.
L’histoire d’L et Louis est sûrement ce qu’il y a de plus cliché. Comme je le disais, elle correspond à quelque chose même de très archétypal et normatif par endroits. Mais justement pour détourner légèrement ce procédé, faire ce petit pas de côté. Plonger dans l’histoire d’amour la plus connue, et trouver l’universelle singularité. Les travers dans lesquels on plonge souvent même quand on s’estime nager à contre-courant. Et puis le petit quelque chose qui n’appartient qu’à eux, c’est vraiment l’instant du plateau. Faire que tous les soirs, Lomane et Louis tombent amoureux, ça c’est leur secret qu’ils partagent avec nous. C’est ce moment-là de la représentation qui est « spécial ».
Graeme Allwright est mort quand j’ai commencé à écrire « Drame Bourgeois ». Il a beaucoup marqué mon enfance. Mes premières histoires se sont les chansons, mes premier.es acteurs et actrices se sont les chanteurs et chanteuses.
Je cherchais à écrire un texte sur le deuil d’une relation amoureuse fictive. La disparition d’un chanteur dont je me sentais si proche sans jamais l’avoir connu me semblait un deuil étrange dont je voulais m’emparer. Aussi parce qu’il était partagé par d’autres générations que la mienne, dont celle de mes parents ; et que je crois que si la musique nous fait pleurer à toute époque, c’est qu’elle a quelque chose de similaire avec la plaie d’une relation (elle est là surement l’universelle singularité). On reproduit des comportements, on rejoue des évènements passés, on ressasse de vieilles pensées, comme on passe en boucle un morceau ou comme nous revient une musique qu’on ne connaît que trop.
Et puis, je parle de la musique parce qu’elle a une place capitale dans mon écriture. Ce sont des partitions pour les interprètes. Et, Graeme Allright, Michel Legrand, Jacques Demy, Barbara, Brassens, Brel, Berger, etc. ce sont les « conteurs et conteuses » qui ont structuré mon imaginaire et mon univers. Faire du sens avec le son. Et raconter des histoires.
C’est mon premier texte et je pensais que ça serait le seul. C’est pour cette raison que la première version était beaucoup plus longue. Je voulais tout y mettre et puis ne plus rien écrire après. C’était assez indigeste. Dans un bouquin, on peut lire, partir, revenir, piocher. Au théâtre, il faut prendre soin des spectateur.ices. Et puis l’histoire parvient mieux si on fait des choix.
Le projet de triptyque est venu comme une évidence, parce que je voulais développer ce travail du langage entamé avec Lomane De Dietrich, et continuer de creuser cette idée de rupture, de clôture des relations. Et pas que dans la sphère amoureuse, mais amicale et familiale également.
Comme c’est mon premier texte, je ne rejette pas l’idée d’écrire une version de « Drame Bourgeois », plus tard, qui serait comme ma « musica deuxième ».
Toutes les douleurs sont uniques. Je crois qu’une rupture amicale peut être un anéantissement. Parce que ça vient vraiment toucher à des points structurels et personnels. Et c’est dur de se rendre compte des relations qui nous construisent et de celles qui nous détruisent. Perdre un ami, accepter de perdre un ami, c’est avoir affaire à soi-même. C’est vrai que c’est un sujet souvent négligé, parce que souvent considéré comme une période de la vie transitoire. L’amitié serait une « étape » entre la famille et l’amour, entre la famille d’où l’on vient et celle que l’on crée, une transition entre deux institutions. Venir questionner l’amitié, c’est aussi, quelque part, repenser ce schéma social.
Au Théâtre Ouvert du 2 au 14 décembre 2024
Texte et mise en scène Padrig Vion
Avec Louis Battistelli, Mélodie Adda, Lomane de Dietrich
Collaboration artistique Lolita de Villers
Regard extérieur Guillaume Morel
Création lumières Thomas Cany
Création sonore Foucault de Malet
Construction Sara Renaud