Moins connus que Carmen mais tout aussi présents sur scène, Les pêcheurs de perles de Georges Bizet (1838-1875) regorgent de pages de toute beauté. L’Opéra de Bordeaux vient d’en proposer une production somptueuse mise en scène par un Yoshi Oïda très inspiré.
Si Les pêcheurs de perles, créés en 1863 ont été éclipsés par Carmen, créé douze ans plus tard, on ne peut que saluer l’impressionnant travail de Georges Bizet et de ses librettistes Eugène Cormon et Michel Carré. Tout y est ciselé, calé, précis, sans faiblesse. Malgré un accueil critique sévère, Hector Berlioz (1803-1869) a su voir le potentiel de cet opéra charmant et teinté d’exotisme ; Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) prédira, douze ans plus tard, le destin phénoménal et posthume de Carmen (puisque Bizet mourra trois mois après la création calamiteuse de son ultime chef d’œuvre et sans en voir le succès interplanétaire). C’est la production mise en scène par Yoschi Oïda et créée en 2012 à l’Opéra-Comique qui pose ses valises au Grand Théâtre de Bordeaux pour quatre représentations.
Écrivain, comédien et metteur en scène, Yoshi Oïda a mis plusieurs opéras en scène comme par exemple Nabucco (Giuseppe Verdi [1813-1901]) ou encore Don Giovanni (Wolfgang Amadeus Mozart [1756-1791]). Avec Les pêcheurs de perles, il a mis ses artistes dans un écrin ; comédien de métier, il a guidé chacun avec une patience infinie et une rigueur inégalable. Et le résultat est somptueux : Les quatre solistes subliment les sentiments contradictoires de leurs personnages sans efforts. Cela étant dit chacun est aidé par les décors sobres, mais efficaces, de Tom Schenk, les belles lumières de Fabrice Kebour et les costumes simples mais beaux de Richard Hudson.
Dans la fosse, l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine est dirigé avec panache par Pierre Dumoussaud qui revient au bercail le temps de cette série. Si la gestuelle est précise, nette, dynamique et les tempos parfaits, les nuances, elles, étaient un peu tonitruantes en début de soirée, couvrant parfois solistes et chœur. Mais le jeune chef recadre rapidement et l’orchestre interprète impeccablement la partition de Bizet par la suite. Quant au chœur de l’Opéra de Bordeaux, parfaitement préparé par Salvatore Caputo, son chef, il prend un vrai plaisir à jouer la comédie. Si musicalement, le chœur est irréprochable, la diction n’est pas toujours impeccable et c’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’un opéra français donné dans un Opéra français. Il n’y a que quatre solistes dans Les pêcheurs de perles qui incarnent des personnages aux fortes personnalités. Pour cette série, les responsables de l’Opéra de Bordeaux ont invité quatre artistes en faisant le pari de la jeunesse. Avec la jeune et séduisante soprano belge Louise Foor, ils ne se sont pas trompés ; la voix est encore un peu verte, mais ferme. Les aigus sont insolents de santé, le médium est de toute beauté. Dès les premières notes de « Ô dieu Brahma », la jeune femme s’impose sans coup férir dans ce monde très masculin ; Elle interprète sans faiblesse son air « Me voilà seule dans la nuit … Comme autrefois » et les deux duos avec Nadir (« Leïla ! Dieu puissant … » ) et, au dernier acte avec Zurga (« Je frémis, je chancelle … »). C’est le jeune ténor américain Jonah Hoskins qui incarne Nadir ; et il le fait fort bien. Si le duo du 1er acte avec Zurga « C’est toi, qu’enfin je revois … Au fond du temple saint … » est de très belle facture, la romance « A cette voix … Je crois entendre encore … » est fort bien interprétée et se termine sur un pianissimo morendo superbe. Mais le grand triomphateur de la soirée c’est Florian Sempey ; le baryton bordelais campe un Zurga charismatique et naturellement autoritaire. Et même s’il prend le pas sur ses partenaires sans effort, Sempey se montre très attentif et bienveillant avec ses deux jeunes et brillants collègues ; il interprète son aria du 3ème acte « L’orage s’est calmé … Ô Nadir » avec une humanité peu commune. Matthieu Lécroard campe un Nourabad convaincant bien que la voix ait changé et qu’il se fasse souvent couvrir, dans les ensembles. Cependant, on ne peut que saluer une interprétation scénique très engagée.
Cette représentation des Pêcheurs de perles a séduit un public venu nombreux en ce beau vendredi soir de janvier. L’accueil réservé à l’ensemble des artistes est d’autant plus chaleureux que nous avons assisté à une soirée somptueuse.
(c) Frédéric Desmesure