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« Wozzeck » à Verbier : les étoiles mal alignées

par Hannah Starman
le 29.07.2023

Le 27 juillet, plusieurs dizaines de sièges sont restées vides à la Salle de Combins, alors que Wozzeck en version de concert était un évènement attendu. Présenté à Verbier de façon partielle en 2008, l’opéra moderniste d’Alban Berg était donné pour la première fois dans son intégralité, avec le baryton danois Bo Skovhus et la soprano finlandaise Camilla Nylund, un duo qui s’était déjà réuni dans Wozzeck de Stefan Herheim au Deutsche Oper am Rhein.

Multiples imprévus pour ce premier Wozzeck verbiérain

 

Malgré la présence des têtes d’affiche de renommée internationale, tout s’emmanche mal pour cette première version intégrale de Wozzeck à Verbier. Quelques jours avant le spectacle, le titulaire du rôle-titre, le baryton allemand Matthias Goerne, annule sa participation pour des raisons de santé. Il sera remplacé au pied levé par le Danois Bo Skovhus, qui avait déjà endossé le rôle en 2017. En revanche, Lahav Shani, le jeune et brillant chef qui a remplacé Zubin Mehta à la tête d’Israel Philharmonic Orchestra en 2019, dirige Wozzeck pour la première fois et le Verbier Festival Orchestra, un orchestre de jeunes entre 18 et 28 ans, ne connaît pas non plus cette partition complexe.

 

Pour apprivoiser l’œuvre « injouable » de Berg, le légendaire chef autrichien, Erich Kleiber, avait organisé une cinquantaine de répétitions avant de diriger la première de Wozzeck le 14 décembre 1925 à Berlin. Jugeant par ce que nous avons entendu ce soir à la Salle des Combins, Lahav Shani n’a pas eu l’occasion de prendre autant de précautions avant de s’attaquer à ce chef-d’œuvre avant-gardiste. D’autant que le format de concert ajoute au moins deux difficultés à l’exécution. Les chanteurs sont placés devant une phalange démesurée, ce qui pose un problème d’équilibre entre la voix et l’orchestre, et ils ne voient pas le chef qui se trouve derrière eux. Avec un indéniable talent et beaucoup de bonne volonté, chacun y a mis du sien pour faire au mieux, mais le résultat final reste mitigé.

 

Une narration visuelle impactante, mais pas toujours lisible

 

Inspirée d’une œuvre théâtrale éponyme de Georg Büchner, Wozzeck, l’histoire tragique d’un soldat humilié et soumis aux expériences médicales destructrices qui finit par tuer la mère de son fils, a été interprétée par des chanteurs pour la plupart plongés dans leurs partitions, et sous-titrée en français et en anglais. Pour pallier à l’absence de mise en scène, le concepteur de la scénographie visuelle et le créateur artistique, Martin Kuhn et Roger Krütli, ont imaginé une succession d’images, partiellement animées et projetées sur l’écran lumineux derrière l’orchestre, qui accompagnent la narration lyrique.

 

 

Martin Kuhn, qui se décrit comme un « raconteur d’histoires à travers la technologie », est autodidacte. Il a contribué à la conception de plus d’un millier de spectacles, parmi lesquels le show musical et dînatoire Pirates des Caraïbes pour Disney qu’il considère comme sa « plus grande fierté ». C’est Kuhn qui insufflera, par un éclairage numérique dont il a le secret, la vie dans les peintures de son ami et collègue, l’artiste Roger Krütli. Les images de désolation de Krütli puisent dans l’esthétique grotesque d’Otto Dix et évoquent la naïveté brutale d’un enfant martyrisé à qui on aurait demandé de dessiner son quotidien sordide.

 

 

La succession de tableaux dans des tons sombres – des champs déserts, une chambre austère avec une croix accrochée au mur, des espaces urbains dépeuplés, des personnages inquiétants, un lac menaçant, etc. – est intéressante pour qui connaît bien l’histoire, mais ne suffit pas pour la raconter. La lecture visuelle est particulièrement laborieuse dans les scènes censées illustrer la descente de Wozzeck dans l’enfer de sa folie meurtrière et le support visuel de la taverne – illustré par des bancs vides dans une rue déserte à la Nuit étoilée de Van Gogh – est à ce point en décalage avec le vacarme sur scène, que certains spectateurs s’y perdront pour de bon.

 

Une distribution solide avec de belles surprises

 

Dans le rôle-titre, le baryton danois Bo Skovnhus incarne un Wozzeck imposant, brutal et taiseux. Avec son visage ciselé, son costume noir, orné d’un élégant mouchoir de poche mauve, Bo Skovnhus campe son personnage dans un registre de violence et de jalousie, sans tenir compte de la complexité qui fait de Wozzeck à la fois un homme faible, dévoué et tendre, mais aussi abusé, instable et dangereux. Tandis que l’antihéros détraqué de Büchner et de Berg se trouve poussé au crime par un désespoir funeste, Wozzeck de Skovnhus tue par orgueil viril du mâle cocu, blessé dans son amour-propre. Une seule fois dans la soirée, les spectateurs verront Wozzeck sourire : quand il aura tranché la gorge de sa bien-aimée. La voix puissante et rugueuse de Skovnhus est en parfaite adéquation avec une lecture de Wozzeck qui fait fi de sa souffrance dévastatrice.

 

 

En parfaite symétrie avec ce Wozzeck machiste de Skovnhus, le personnage de Marie que nous propose la soprano finlandaise Camilla Nylund est une femme sans grâce, colérique, vulgaire, cruelle, impatiente et dépourvue de toute tendresse. Bref, une garce qu’on ne regrette pas de voir mourir. Les scènes déchirantes dans la pièce de Büchner où Marie traverse les regrets, se confronte à sa culpabilité, combat sa peur, enlace son désespoir, enveloppe son fils d’un amour viscéral et protecteur ou encore, exprime son ambivalence vis-à-vis d’un Wozzeck qu’elle aime et craint à la fois, sont balayées par Nylund d’une même voix impérieuse et stridente qui, tel un char d’assaut, écrase toute humanité de son héroïne pour en faire une caricature de la « tarte qui l’a bien cherché ».

 

 

Autour de ce couple résolument contemporain, qui fait penser à un match sur Tinder qui déraille sous l’effet des psychotropes, deux autres protagonistes peinent à se positionner. Le Capitaine, source d’humiliation pour le soldat Wozzeck, et le Docteur sadique et prétentieux qui pousse son patient à la folie, se retrouvent désinvestis de leur mission primaire, à savoir de désaxer Wozzeck par un régime d’abaissement et de petits pois. Wozzeck de Skovnhus est bien trop solide pour être ainsi déstabilisé, même si le Capitaine, interprété par le ténor allemand, Gerhard Siegel, et le Docteur, incarné par le baryton-basse allemand, Albert Dohmen, sont des personnages forts et dotés de grandes voix.

 

 

La prestation vocale de Gerhard Siegel est assurée et rondement menée. Sa voix est homogène sur toute la tessiture et, face à un Wozzeck défiant, Siegel opte pour une interprétation puissante et digne. Son Capitaine manque du grotesque et du ridicule et on regrette l’absence des aigus perçants qui donnent au personnage ce côté attachant et repoussant à la fois. Le Docteur se trouve, lui aussi, quelque peu dépossédé de sa victime. Certes, le Docteur pose son diagnostic farfelu (« aberratio mentalis partialis ») et dispense les traitements absurdes (interdiction d’uriner, régime de petits pois), mais le Wozzeck de Skovnhus ne montre aucune fragilité psychique, si ce n’est un agacement croissant. Avec une belle voix de basse, Albert Dohmen, grisonnant et vêtu d’une chemise blanche et un gilet noir, pontifie les lignes du Docteur avec gravité, pendant que se dessine derrière lui, projetée sur l’écran lumineux, un cœur dans un bocal et deux personnages, dont un qui lève et baisse le bras sans raison apparente.

 

Le ténor britannique, Christopher Ventris est un Tambour-Major presque élégant. Vêtu d’un gilet rouge et d’une veste noire, il n’appuie pas du tout le côté rustique de son personnage. Il est, bien entendu, orgueilleux et ignoble, mais on est tout de même soulagé que, dans la version en concert, il n’en vienne pas aux mains avec Wozzeck. Vu la constitution robuste et le visage fermé de ce dernier, l’issue pourrait se révéler déplaisante pour le Tambour-Major à la « poitrine de taureau et crinière de lion ». Sa belle voix projette bien et Ventris en exploite habilement les nuances, autant pour séduire dans le premier acte que pour provoquer dans le troisième.

 

 

Le jeune ténor britannique Sam Furness est convaincant dans le rôle d’Andres, mais on regrette que la première intervention de la mezzo-soprano française Adèle Charvet, qui endosse le rôle de Margret, soit couverte par un orchestre débordant. Ce n’est que lors de son deuxième passage sur scène (au dernier acte) que l’on pourra apprécier son timbre chaud et velouté. Le ténor britannique, Christopher Willoughby, fera une brève et honorable apparition dans le rôle du fou.

 

La scène de la taverne nous livre deux très belles prestations, celle de la basse française Matthieu Toulouse, qui avait récemment déjà endossé le rôle du premier apprenti dans la production de Wozzeck au Festival d’Aix-en-Provence, mais surtout celle du jeune baryton suisse Félix Gygli dans le rôle du second apprenti. Jeune artiste au National Opera Studio de Londres pour la saison 2022-2023 et lauréat du prestigieux Prix Kathleen Ferrier de 2023, Félix Gygli rejoindra l’International Opera Studio de l’Opernhaus de Zurich pour la saison 2023-2024. Un talent à suivre !

 

L’impression générale de cette distribution, pourtant de grande qualité vocale, est un manque d’incarnation scénique, une absence de chimie entre les différents personnages et une attitude individualiste, où chacun interprète au mieux sa partition, sans trop se soucier des autres. Une œuvre collective est toujours plus que la somme des parts et un opéra aussi psychologiquement et moralement complexe que Wozzeck nécessiterait un investissement émotionnel des interprètes bien au-delà d’une prestation vocale, aussi excellente soit-elle.

 

La direction musicale de Lahav Shani y est sans doute pour beaucoup car l’on observe le même découragement dans l’orchestre. La musique de Berg est périlleuse et demande une direction très précise qui accompagne les musiciens et les interprètes à chaque instant, d’autant plus que l’orchestre des jeunes ne connaissait pas l’œuvre et n’avait que très peu d’occasions pour répéter. Lahav Shani est suffisamment habile pour diriger Wozzeck sans beaucoup de préparation, mais la cohérence de l’ensemble en a clairement pâti et c’est bien dommage.

 

 

Ce premier Wozzeck intégral à Verbier ne convainc pas et n’émeut pas. En revanche, il montre la limite de l’exercice qui nous est proposé ce soir. Pour créer un Wozzeck qui nous prenne aux tripes, il ne suffit pas de réunir sur le même podium les meilleurs musiciens du monde et les laisser se débrouiller, chacun de son côté, pour atteindre le sublime et le transcendant.

 

Visuels : © Agnieszka Biolik