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Viva l’opéra italien avec Anna Pirozzi à Peralada !

par Paul Fourier
29.07.2024

La soprano italienne a enchanté le public du festival avec un programme exigeant couvrant les répertoires du bel canto rossinien au vérisme, en passant naturellement par Verdi et Puccini.

 

Anna Pirozzi fait partie des artistes qui osent ; osent, en l’occurrence, avec aplomb et sans aucune faiblesse, aligner neuf airs consistants dont Norma, La forza del destino, Adriana Lecouvreur et André Chénier dans une même soirée.

Certes, dans l’attente de la réouverture de l’auditorium, cela a eu lieu, dans l’Église du Carmen, un espace qui ne se marie pas au mieux avec une voix aussi puissante que celle de la chanteuse, une voix qui peut facilement en saturer la nef, surexposer voire rendre métalliques les aigus forte.

Qu’importe ! Pirozzi qui a déjà interprété l’Abigaille de Nabucco ici en 2022, venait, accompagnée de son petit ensemble, de répéter son programme dans une modeste salle à Vérone, et n’en a pas rabattu de ses ambitions.

Pirozzi et le bel canto

 

Depuis un Roberto Devereux (à Bilbao) ou un Pirata (à Monte-Carlo), voire avec ses Abigaille anthologiques, on sait que la voix de l’artiste a toutes les qualités intrinsèques d’une soprano dramatique colorature à même de faire briller le répertoire belcantiste, dont un legato exemplaire, une souplesse naturelle, une aptitude au chant piano.

Mais, à notre connaissance, on ne l’avait pas encore entendu dans Rossini alors que bien des opéras seria du compositeur seraient parfaitement dans ses cordes. Ce fut donc une belle surprise de l’écouter dans le « Juste ciel » tiré du Siège de Corinthe, un air dans lequel elle a su – outre une prononciation française irréprochable – déployer, entre sons filés et vocalises douces, toute la délicatesse de la femme qui supplie en attendant un éventuel carnage.

 

Avec le « Casta diva » de Norma, nous entrions de plain-pied et de manière spectaculaire dans le sujet, Pirozzi osant, sans hésiter, interpréter l’un des airs les plus difficiles qui soit en début de récital. D’emblée, le legato est parfait, les deux « montées » centrales vers le la aigu et le si bémol sont magnifiques, sans l’ombre d’une rupture grâce à la maîtrise totale du souffle, la note finale, aérienne.

 

Après Norma, Anna Pirozzi enchaînait avec deux rôles qu’elle a faits siens récemment avec éclat à l’Opéra de Paris, et dont le beau souvenir était encore présent. Ce fut d’abord un « Io son l’umile ancella » tiré d’Adriana Lecouvreur où, une nouvelle fois, elle fit usage d’une superbe douceur d’exécution appuyée sur des piani parfaitement contrôlés.

 

Quand la force du destin sous toutes ses formes voisine avec la fugace légèreté

 

Suivit alors un « énorme » morceau, le « Pace, Pace Mio Dio » de La forza del destino, un air énorme mais pourtant idoine pour la soprano, débuté par une note en crescendo et diminuendo auquel succédait un passage lent parfaitement accompagné par le piano et le quartet dans lequel la voix pouvait se déployer à loisir, laissant ensuite la place aux accélérations de l’inquiétude puis à un final puissant.

 

Après le prélude du troisième acte d’Edgar, la fin de la première partie fit la jonction avec la période plus tardive et Puccini avec l’air « Addio mio dolce amor » (tiré du même opéra) que Pirozzi interprétait pour la première fois et qui rappelait qu’elle est, avec Puccini, dans son domaine de prédilection.

 

La deuxième partie repartait donc de Puccini pour aller vers le vérisme de Leoncavallo et Giordano. Avec « In quelle trine morbide » de Manon Lescaut, la soprano entrait de plain-pied dans le drame si caractéristique du compositeur, usant superbement de son somptueux médium et de son legato. Puis, en contrepied, débutant sur d’impressionnantes notes graves, elle prouvait à quel point elle est en mesure d’alléger sa voix avec les vocalises aériennes placées dans la partie aigue de la partition dans l’air « Qual fiamma… Stridono lassù » de Nedda.

 

La très belle paraphrase d’Il Trittico concoctée par Luca Pozza permettait ensuite d’enchaîner sur le célébrissime « O mio babbino caro », un air dans lequel on n’attendrait pas forcément la Pirozzi. De fait, avec cet air plus léger elle montrait l’étendue de son talent, contournant ainsi « l’obstacle Tosca » et un Vissi d’arte qui n’était pas là franchement indispensable.

 

Cela n’empêcha pas la fin du récital de s’enfoncer dans la quintessence du drame et alors que, la veille, le long de la Seine à Paris, on vit des Marie-Antoinette décapitées, c’est avec une sublime, émouvante et puissante « Mamma morta » d’Andrea Chenier qu’elle plongea dans l’univers révolutionnaire avec tout le pathos nécessaire, et donna le coup de grâce à un public en extase.

 

Après, un tel florilège, à l’issue d’un programme décidément parfait, il ne restait à la soprano qu’à rappeler ses origines napolitaines avec deux chansons “Dicitencello vuje”, de Rodolfo Falvo et Enzo Fusco et “I’ te vurria vasà”, de Eduardo di Capua qui mettaient encore en évidence le feu qui couvait, malgré la densité de la soirée, dans le cœur et la voix d’une artiste généreuse.

Un piano, un quartet, des paraphrases et beaucoup de talent

 

L’autre plaisir de la soirée a émané du choix de la formation qui a fait plus qu’accompagner l’artiste, puisqu’elle a aussi interprété nombre de morceaux originaux et laissé entendre de belles paraphrases composées par Luca Pozza (également violoniste dans le quartet) telles celles sur Rigoletto en ouverture des deux extraits verdiens de la soprano ou du triptyque de Puccini. Le mariage entre les cordes (Mirela Lico et Leonard Simaku aux violons, Livia Rotondi au violoncelle et, donc, Luca Pozza à l’alto) et le toucher de Sophia Muñoz au piano, était totalement adapté à l’acoustique du lieu et permettait de gagner de l’ampleur sur un accompagnement au piano seul, toujours frustrant pour une voix de cet acabit.

Avec, Don Pasquale et Rigoletto, on rendit hommage, avec le velouté des cordes et la rythmique du piano, à la vivacité d’œuvres qui regardent soit vers la comédie, soit vers le drame avec panache.  Ce fut également l’occasion de savourer des passages méconnus et parfaitement interprétés de Puccini (avec le prélude du troisième acte d’Edgar et le Tregenda de Le Villi) avec une sonorité soyeuse qui convenait admirablement au compositeur italien.

Avec l’interlude d’I Pagliacci, les musiciens mettaient aussi bien en évidence le drame sous-jacent que les contrastes de calme avant la tempête propres à Leoncavallo, contrastes qui allaient s’exprimer ensuite avec l’air de Nedda. En fin de concert, la paraphrase d’Il Trittico (Gianni Schicchi, Suor Angelica, Il Tabarro) rappela enfin qu’il n’est pas besoin d’un orchestre symphonique pour rendre la beauté de la musique de Puccini lorsque l’on dispose d’une formation aussi bien constituée (et le tapis de cordes si nécessaire à ces partitions) et des musiciens nantis de la finesse et de la sensibilité requises.

 

En bref, loin d’être un simple récital donné dans une église, et malgré l’acoustique du lieu, les artistes, avec la soprano à leur tête, nous ont gratifié d’un grand concert lyrique en offrant les plus belles plages possible, puisées dans la centaine d’années qui séparait Rossini et Puccini. L’un des talents de la chanteuse que l’on attendait dans un répertoire lourd, en raison de sa voix de soprano dramatique, fut précisément d’avoir le flair de ne pas se laisser enfermer et de savoir aussi s’aventurer dans des airs plus légers dans lequel elle était à même de montrer son art de la mezza voce ou de la vocalise. Tous ces ingrédients firent que la soirée, avec l’ensemble de ces artistes parfaitement complémentaires, ne pouvait être qu’un pur plaisir appelant l’ovation du public !

Visuels : © Miquel González