C’est l’administrateur général de la Comédie Française, Eric Ruf qui signe la mise en scène de la création de La Bohême de Puccini au Théâtre des Champs Elysées, avec l’Orchestre National de France dans la fosse, Lorenzo Passerini à la baguette et des voix exceptionnelles. Derrière le rideau cramoisi, le petit peuple de Paris, vit et vibre comme jamais…
La Bohème, c’est un opéra que les gens de tous les âges connaissent. Moins de deux heures de spectacle où défilent les « tubes ». Et quels tubes ! Ici, ils sont portés par des voix extraordinaires de puissance et de générosité à faire trembler la salle. Pene Pati est époustouflant en Rodolfo, Selene Zanetti à la fois délicate et téméraire en Mimi, tandis qu’Amina Edris est une révélation en Musette. Tiré du livre de Murger, la Bohême, c’est la vie d’artistes, obligés de nourrir leur poêle de leurs œuvres tandis que leurs compagnes se vendent à des riches pour ne pas mourir de froid. Et tout ceci se passe dans un Quartier Latin de Paris éternellement jeune. C’est une vie pauvre, mais aussi terriblement vivante, centrée sur l’essentiel : la création et l’art.
Tout commence ici par un rideau on ne peut plus traditionnel. Sauf qu’il est encore « work in progress », œuvre du peintre Marcello (interprété par Alexandre Duhamel). Et qu’il ne se lève pas, mais nous plonge insensiblement dans La Bohème. Et lorsqu’il se lève, c’est le peuple de Paris que l’on voit. Eric Ruf à la mise en scène et la scénographie ouvre tout l’espace de la scène et projette les barricades du Paris romantique vers le haut, dans des échafaudages, qui tiennent à la fois de Gustave Eiffel et de panoptiques où gronde le peuple. Les costumes de Christian Lacroix avec des robes aux soieries invraisemblables (pourpre et orange) semblent sortis d’un Delacroix. Mais les plissés et les couches de vêtements sont eux aussi « in progress » dans un monde où le coût d’un médecin nécessite de vendre bijoux et son vieux manteau chaud au Mont-de-piété.
« Si le plaisir se trouve dans un verre, l’amour est sur deux jeunes lèvres », entend-on Musetta chanter depuis la rue où défilent les balayeurs et les laitières. Il n’est point d’heure et le petit peuple de Paris veille, tandis que le drame intime de Rodolfo et Mimi, toussante et grelottante se déroule sous nos yeux. Le plaisir de l’Orchestre National de France et les nuances proposées par la direction de Lorenzo Passerini sont enivrants. Subtiles, les chorégraphies de Glysleïn Lefever mettent en avant ce peuple qui a du mal à réellement se réunir autrement qu’en masse compacte et un peu désœuvrée. A contrario, dirigés avec brio par Eric Ruf, les solistes se meuvent avec une vivacité rare. Finie la mode des années 2000 de chanteurs trop ascétiques et athlétiques, le jeune cast exceptionnel de cette production renoue avec les rondeurs et la puissance du Bel Canto, l’agilité et le goût du jeu en plus. Le final est à l’avenant du reste de la production : l’intime parle de politique et la mort si injuste de Mimi nous touche comme jamais. L’Opéra est mobile et cette Bohême prouve que la fidélité à ses codes permet merveilleusement son renouvellement.
La Bohême, de Giacomo Puccini, dirigé par Lorenzo Passerini, mis en scène par Eric Ruf, costumes de Christian Lacroix, avec Selene Zanetti, Pene Pati, Alexandre Duhamel, Francesco Salvadori, Guilhem Worms, Amina Edris, Marc Labonnette, Rodolphe Briand, l’Orchestre National de France, Chœur UNIKANTI – Maîtrise des Hauts-de-Seinedirigé par Gaël Darchen, jusqu’au 24 juin au Théâtre des Champs Elysées. A voir le 2 septembre sur TCE live.
(c) Vincent Pontet