Un « Don Carlo » en forme de best of à Monte-Carlo

Depuis quelques années, les opéras essayent de donner l’opéra Don Carlo(s) de Verdi dans des versions les plus complètes possible. Ce fut notamment le cas pour Paris en 2017, Genève en septembre dernier ou encore pour la reprise de Munich. Revenir à la version la plus raccourcie possible (certes charcutée pour Milan en 1884 de la main du compositeur lui-même), c’est inévitablement choisir un ensemble d’airs tous plus beaux les uns que les autres (ce qui satisfera les « non-initiés ») mais opter aussi pour une intrigue rendue artificielle et un assemblage de scènes qu’il faut parfois faire des efforts intellectuels pour relier les unes aux autres.

Une distribution de haut niveau

Quoi qu’il en soit, malgré la défection (annoncée, sans guère d’arguments convaincants) de Vittorio Grigolo, la distribution s’est avérée de très haut niveau. Elle a incontestablement été dominée par Ildar Abradzakov, stupéfiant, avec une voix souveraine et riche, notamment dans son « Ella giammai m’amo! » où il a montré une longueur de souffle incroyable.

Pour Élisabeth, on a connu des timbres plus luxueux, des nuances plus affirmées que celles que peut proposer Joyce El-Khoury. Il n’empêche que la prise de rôle de la soprano a été magnifique par sa capacité à prendre possession du personnage, à incarner et tenir son rang de Reine, et surtout à afficher tout l’ambitus requis avec des graves et des aigus de toute beauté. Son « Non pianger, mia compagna » a été très réussi, son grand air « Tu che la vanità » magnifique, tout comme sa participation au duo final.

Il en fut de même pour Artur Rucinsky, toujours vaillant, à la voix solide et élégante, mais à qui la psychologie complexe de Rodrigue semble avoir quelque peu échappée. Face à lui Sergey Skorokhodov (remplaçant donc Grigolo) n’a nullement démérité (sans jamais atteindre des sommets) mais a fait montre des mêmes défauts de manque d’incarnation que son fidèle Rodrigue.

Varduhi Abrahamyan a campé une très belle Eboli, cependant plus à son aise, montrant son art belcantiste, tant dans la chanson du voile que dans le « Don fatale » qui a mis en évidence ses limites.

Le moine de Salvo Vitale était absolument somptueux ; mais, face à l’impérieux Philippe d’Abradzakov, le grand inquisiteur d’Alexey Tikhomirov a manqué de présence du fait de sa voix un peu claire pour le rôle. L’on complètera la liste de cette distribution fort bien choisie, avec le bon Thibault de Mirjam Mesak, les excellents Reinaldo Macias Vincent di Nocera en Comte de Lerme et en héraut et la voix vraiment « céleste » de Madison Nonoa.

Ça se gâte avec Livermore et Zanetti

Outre le fait qu’il ne sache guère aller plus loin que d’offrir une version concert illustrée, le problème du metteur en scène Davide Livermore, c’est de ne jamais savoir trouver la bonne mesure. Utiliser un plateau tournant ou des vidéos n’est pas un problème en soi. Le hic survient lorsque cette utilisation ne cesse jamais et finit par agacer l’œil et parasiter le chant. Ce fut malheureusement le cas, même si les amateurs de belles images et de beaux costumes d’époque (Sofia Tasmagambetova) auront sûrement trouvé leur compte dans le spectacle. La direction d’acteurs était, par ailleurs, uniformément statique, les chanteurs se bornant, la plupart du temps, à chanter face au public en ignorant leurs partenaires.

L’autre point noir de la soirée fut la direction abrupte de Massimo Zanetti qui s’est borné à accompagner sans finesse aucune cette version, il est vrai, réduite au minimum par son intrigue. Le chef semble avoir, pour le coup, oublié les subtilités et la richesse de cet opéra magique pour ne donner que la partition dans toute sa raideur, sans imagination.

Ainsi, grâce aux artistes, on aura passé une bonne soirée en forme de best of. Il est juste dommage qu’il n’ait pas été porté plus d’attention à la partition et à l’intrigue d’un des plus grands chefs-d’œuvre de Verdi…