Créé à Toulouse, Boris Godounov, mis en scène par Olivier Py s’installe au Théâtre des Champs-Élysées. Mystique et un peu politique, le Tsar usurpateur est interprété par Alexander Roslavets, convaincant dans sa prise de rôle.
L’adaptation lyrique de Pouchkine sur la figure du régent du « temps des troubles » (16e siècle), Boris Godounov, est le chef-d’œuvre de Modeste Moussorgski. Dès l’ouverture, l’Orchestre National de France dirigé par le lituanien Andris Poga fait entendre la profondeur du thème historique, mystique et métaphysique. Les chœurs (celui de l’Opéra national du Capitole et la Maîtrise des Hauts-de-Seine), tout d’or vêtus, nous font atteindre des moments de grâce aussi épique que religieuse. Quant aux solistes – principalement des voix masculines – ils sont simplement merveilleux : puissant et précis, Alexander Roslavets endosse le rôle d’un homme de pouvoir tiraillé par la culpabilité avec autant de charisme que de sensibilité. En personnage diabolique, Yuri Kissin est marquant, tandis que Marius Brenciu prête son timbre suave à l’intrigant Prince Chouïski. En princesse éplorée, Lila Dufy est aussi belle que tragique… En bref, ce Boris Godounov est musicalement extrêmement séduisant.
Olivier Py, que l’on avait adoré dans la trilogie Poulenc déjà réalisée pour le Théâtre des Champs-Élysées, ne déroge pas à ses habitudes de mise en scène lyrique : beaucoup de verticalité, de l’or – ce qui devrait particulièrement marcher en monde orthodoxe – et des costumes intemporels ; ceci jusqu’à de qu’une pointe de cabaret picaresque et truculent prenne le dessus…
La scénographie de Pierre-André Weitz propose dans cette mise en scène trois ensembles verticaux qui tournent et évoluent pour empiler des couches de cœur et laisser l’humain (trop humain, même quand il s’agit du Tsar) tout petit sous d’immenses constructions. Une face est en marbre, une autre pointe vers des gratte-ciels et la troisième vers un univers plus caverneux. Sur le devant de la scène un peu pelé, une petite croix et de la terre marquent la tombe maudite du vrai Tsar, Dimitri, un enfant qui a été assassiné et qui ne cesse de hanter la pièce.
On image bien combien mettre en scène les boyards et trois fantômes de tsar peut-être impactant et tentant l’année des élections en Russie, et après deux ans de guerre en Ukraine. Olivier Py saute le pas en faisant flotter des drapeaux et en produisant le visage de Poutine sur un tableau un peu trop grand pour passer pour une icône. Et pourtant, on sent qu’il le fait peut-être un peu à contrecœur. C’est l’enjeu spirituel et mystique qui semble primer dans ce que sa mise en scène peut avoir de touchant (la petite tombe justement). Le reste semble automatique : costumes classiques pour rendre l’opéra intemporel, direction d’acteurs assez datée, lamentations outrées… Le pire étant le yoyo de Boris monté et descendu sur un grand lustre qui n’a rien à envier à Jean-Michel Othoniel en termes de boules dorées…
Bref, pour une fois, ce que nous propose le directeur du Théâtre du Châtelet semble manquer d’inspiration et recycler des vieux motifs. C’est dommage, tant le sujet, la musique et la voix se prêtaient à un choix tranché : rendre à Boris ce qui est à Boris.
Visuels : © Mirco Magliocca