Il est des œuvres dont on pense qu’elles sont de tels diamants qu’elles peuvent résister à tout. Il est aussi des spectateurs qui pensent que la version concert serait un antidote aux délires des metteurs en scène qui, selon eux, dénatureraient les intentions des musiciens des auteurs.
La représentation salzbourgeoise du 8 juin a été la démonstration que ces idées reçues sont erronées, quand, finalement, l’esprit subtil du compositeur s’avère absent.
D’aucuns pensent qu’assembler sur une scène des chanteurs de renom, ayant pratiqué les rôles de nombreuses fois, avec une technique rompue et irréprochable, constituerait une recette magique, y compris sans direction dramatique.
Cette soirée salzbourgeoise du 8 mai, nous a, malheureusement, conduits à nous demander si un « metteur en scène » – cet être souvent vilipendé de nos jours pour ses prétendues audaces – n’aurait pas été inutile pour contredire le sentiment ressenti que chacun était venu avec son propre acquis ; qu’aucun des interprètes n’avait, peut-être même, participé à des répétitions, tant chacun apportait, tel quel, comme bagage, le stéréotype de son personnage.
Ce fut donc un festival de poses convenues – voire caricaturales – qui étaient destinées à faire naturellement puzzle. Quant à la direction du chef, Massimo Zanetti, précipitée, comme sans imagination, elle n’a guère aidé à dérouler du grand et beau Verdi.
Pourtant, s’il n’était ce sentiment de n’avoir pas pu assister à une évolution sensible des trois personnages de chair et de sang, créés par Alexandre Dumas, puis repris par Verdi et Piave, l’on n’a légitimement pas pu reprocher aux trois grands professionnels présents, de n’avoir pas été vocalement à la hauteur de la tâche.
Piotr Beczala représente Alfredo depuis longtemps ; la vocalité du rôle ne lui pose pas de problème.
Cependant, comme pour faire adhérer son incarnation à une conception monolithique de son personnage, il n’est jamais parvenu à se départir d’un chant forte, appuyé sur un médium vaillant, mais, également sur des aigus très tirés ; et ce, à tel point que l’on en est arrivé à se demander si, avant d’être jaloux et déshonorant, cet homme-là avait été amoureux.
Que pourrait-on reprocher à l’inaltérable Luca Salsi qui dispense toujours son chant sans la moindre once de faiblesse (reconnaissons-le notamment dans un admirable « Di Provenza il mar, il suol » ? )… Peut-être son Germont est-il sorti de sa confrontation avec Violetta de l’acte II, tel qu’il y était rentré, inchangé. C’est peut-être là le problème fondamental de Salsi : enchaîner les rôles, sans forcément nous faire distinguer psychologiquement un Germont d’un Luna ou d’un Nabucco.
Restait le phénomène Nadine Sierra, une artiste que l’on n’a jamais cessé d’encenser ces derniers mois, notamment lorsqu’elle nous a offert une Juliette napolitaine hors-norme.
Hormis des suraigus qui semblaient ce soir plus compliqués qu’à l’accoutumée, l’on continuait à admirer une technique hors pair, une longueur de souffle, une plastique dont elle joue volontiers, mise en valeur par des robes et des talons aiguille vertigineux, un aplomb et une maîtrise de scène qui lui aura fait clôturer l’opéra, fort théâtralement, les bras en croix, en fond de scène, éloignée de ses partenaires.
Mais le rouleau compresseur, spectaculaire, nous aura aussi laissé l’impression qu’il y avait, ce soir-là – pour elle comme pour les autres protagonistes – une tentation à souhaiter « épater la galerie ». Sans cela, sans cette impression d’avoir été rejetés aux marges d’un show, l’on aurait sans doute pu se joindre aux acclamations finales.
Des seconds rôles, il nous restait à saluer la Flora de Štěpánka Pučálková et le Granvil de Francesco Milanese, avant de se dire que personne n’a douté qu’il y avait, ce soir-là, des grands artistes sur la scène du grosses Festspielhaus, mais, qu’en revanche, c’était peut-être tout simplement l’esprit de Verdi que l’on avait oublié d’inviter…
Visuels : © Marco Borrelli