Dans une mise en scène époustouflante de virtuosité acrobatique, L’Olimpiade de Vivaldi remporte un vif succès. La présence du charismatique Jakub Józef Orliński vaut le détour tout comme les exploits lyriques de la splendide Marina Viotti. Une réalisation originale qui comporte aussi quelques limites.
Antonio Vivaldi a composé son « dramma per musica » en 1734 sur un livret de Métastase (Pietro Metastasio pour son pseudonyme italien) qui avait été écrit pour Antonio Caldara l’année précédente. Il était d’usage à l’époque qu’un bon livret serve à de multiples compositeurs et celui de L’Olimpiade a donné lieu à plus de soixante versions différentes, dont celles de Cherubini (1783), Cimarosa (1784), Paisiello (1786) et même Donizetti, pour une œuvre inachevée (1817).
La très belle Olimpiade de Cimarosa a d’ailleurs fait l’objet d’un enregistrement en amont de la représentation du mois dernier à l’Opéra Royal de Versailles avec les talens lyriques sous la direction de Christophe Rousset.
Antonio Vivaldi célèbre le genre « opera seria » qu’il illustre de son style propre, offrant une partition très chatoyante aux multiples couleurs, caractérisée par une sinfonia (ouverture) à l’orchestration déjà complexe et novatrice, des récitatifs « secs » (c’est-à-dire accompagnés par un continuo réduit à la basse), et surtout de flamboyantes arias, aux multiples reprises, qui expriment l’affect des personnages par la richesse de leurs variations.
L’orchestre ne se contente pas de les accompagner, mais dispose de multiples interventions instrumentales qui font une partie du charme de cette œuvre, relançant en quelque sorte l’aria dans ses répétitions avec ornementations. Et l’œuvre forme une sorte de construction musicale composée d’ensembles récitatifs-orchestre-aria-orchestre-reprise. Chaque brique a sa propre logique et sa propre unité et s’emboîte dans un tout où l’histoire apparaît comme très secondaire et s’efface finalement devant la beauté de la musique articulée sur un livret fort bien écrit pour l’opéra. Les solistes ont donc la part belle et Vivaldi ne prévoit que peu de duos (un seul), trios ou ensembles.
Si l’œuvre comporte quelques moments de divertissements, pour l’essentiel le genre opera seria propose une trame plutôt tragique où le sport n’est que prétexte aux croisements amoureux, aux serments de fidélité en amitié et aux complots qui se fomentent.
Le choix du Théâtre des Champs Élysées pour sa première mise en scène de L’Olimpiade de Vivaldi, est donc discutable même s’il soulève incontestablement un très grand enthousiasme du public qui remplit la salle jusqu’aux loges du dernier étage en ce dimanche en fin d’après-midi.
En effet, pour illustrer le titre, Emmanuel Daumas (avec la scénographie de Alban Ho Van et la chorégraphie de Raphaëlle Delaunay) situe résolument l’action dans un gymnase où les athlètes s’exercent en permanence, Licidia compris, durant toute la première partie. La réalisation est très soignée, voire impressionnante par la qualité des numéros des gymnastes et l’extrême souplesse du contre-ténor qui exécute quelques belles figures de breakdance tout en chantant ses airs.
Mais malgré ces immenses et indéniables qualités de réalisation, cette omniprésence créée une sorte de distraction comique qui amoindrit quelque peu la beauté du chant et de ses enchainements grandioses. Si l’on ajoute quelques incursions hors partition (cris, interpellation du chef d’orchestre, rires), on a parfois le sentiment de se retrouver chez Offenbach, donc assez loin de la conception vivaldienne.
Nombre de situations « acrobatiques » un peu outrées comme les multiples chutes (contrôlées) de Licida arrachent rires et soupirs à la salle manifestement impressionnée par les « numéros » du contre-ténor superstar, alors que le drame se noue. Heureusement en deuxième partie cet aspect « cirque » est relativisé et quelques très belles trouvailles scénographiques rendent toute sa place à la musique.
Il ne manque pas cependant de très beaux moments comme le superbe air de la tourterelle « Sta piangendo la tortorella » magnifiquement accompagné par un numéro d’acrobatie aérienne de toute beauté (et techniquement très impressionnant) ou le « Sciagurato in braccio a morte », accompagné du seul violoncelle (qui hélas est demandé sur scène par une interpellation d’Alcandro qui déclenche le rire juste avant cette sorte de Lamento).
Les éclairages de Bruno Marsol réussissent à créer de véritables ambiances variées et colorées.
Jean-Christophe Spinozi et son Ensemble Matheus, familiers de Vivaldi, nous livre une prestation inégale qui semble avoir adopté le parti pris de cette sorte de puzzle entre tragique et comique, en hachant la partition, passant de moments très peu sonores à des fortissimo et marquant de nombreuses pauses qui n’ont pas lieu d’être dans la partition.
Le contre-ténor Jakub Józef Orliński, véritable divo bien au-delà des cercles habituels de mélomanes, est un véritable miracle de la nature, ambassadeur efficace pour un public renouvelé, transmettant sa passion tout à la fois pour le hip-hop, la gymnastique et la sculpture du corps et l’art du chant baroque.
On se demande comment il parvient à assurer ses exercices d’assouplissement tout en chantant ses arias, d’autant plus qu’il poursuit ses exploits physiques tout au long de la représentation. Doté d’une plastique irréprochable et d’une présence charismatique, il a largement contribué à remplir la salle qui lui est entièrement dévouée, éperdue d’admiration et il faut lui reconnaître une capacité à moderniser des thèmes assez surannés. Mais… le chant y trouve-t-il totalement son compte ? La voix est belle et le timbre très pur, mais le style manque singulièrement de couleurs et de nuances et le beau contre-ténor est avare d’ornementations. Cela dit, ces limites n’affectent que secondairement un rôle comme celui de Licida qu’il incarne avec beaucoup de charme et d’élégance, qualités auxquelles chacun sera sensible tout comme d’ailleurs ce rien de naïveté qui renforce l’ensemble. Il livre en particulier un extraordinaire « Gemo in in punto e fremo » accompagné de véritables bonds et un émouvant « Mentre dormi ».
Sauf si l’on déniche un autre talent de ce type, cette mise en scène restera la sienne et elle a été construite autour de lui.
Mais la vraie déesse du stade est Marina Viotti qui ne cesse de nous surprendre par les différentes facettes de son immense talent. Le chant est magnifique, et tout y est dans l’art du bel canto, les multiples ornementations, les vocalises descendantes ou montantes époustouflantes, les couleurs différentes pour l’expressivité des nombreuses reprises. Et comme, malgré un déguisement body-buildé sans doute difficile à porter, elle joue merveilleusement bien ce rôle de travesti, ce pauvre Megacle, et donne ainsi les moments les plus authentiques de ce seria, notamment lors de ses « Se cerca se dice » et « Lo seguitai felice ». L’intégrité de son chant malgré les quelques acrobaties que lui impose la mise en scène, force l’admiration.
Signalons que Marina Viotti qui n’hésite pas à aborder brillamment la Cenerentola de Rossini puis Carmen de Bizet dans des styles assez différents, vient de sortir un très beau CD, « Mezzo Mozart », consacré aux principaux rôles mozartiens de cette tessiture (qui n’était pas caractérisée comme telle avant le début du dix-neuvième siècle).
L’Aminta d’Ana Maria Labin incarne un personnage sombre, mi-sorcière, mi-deus ex machina avec un timbre profond et des vocalises impressionnantes. Prenant de l’assurance au fil de la soirée, la soprano nous donne deux autres grands moments avec « Son qual per mare ignoto « au 3e acte et plus encore avec « Siam navi all’onde algenti » en conclusion de la première partie. Rappelons que c’est Jodie Devos récemment tragiquement disparue qui devait chanter Aminta.
Caterina Piva campe une très touchante Aristea, sensuelle, fragile et séduisante. Le chant est élégant et bien modulé et son « Sta piangendo… » accompagné du cor, montre la souplesse de sa voix, son aisance au milieu des sauts de notes et la maitrise du souffle que requiert le rôle.
Delphine Galou en Argene est moins convaincante, souvent insuffisamment puissante, elle parait un peu en retrait sur le plan vocal tout en se signalant par une présence scénique très réussie.
Le Clistene de Luigi de Donato possède de bien belles notes graves servies par un beau timbre chaud et cuivré et son interprétation toute en sensibilité écorchée vive par les affres du destin sonne juste.
Quant au baryton Christian Senn en Alcandro de semi-fantaisie, il brille tout particulièrement dans le beau « Sciagurato in braccio a morte » façon lamento, chant très pur et timbre de belle facture.
Le grand succès de la représentation est le résultat d’un véritable renouveau et rajeunissement des équipes qui offre un spectacle de qualité malgré sa complexité. Mais c’est aussi l’un des effets du phénomène « Jakub Józef Orliński », véritable coqueluche des réseaux sociaux, ce dont l’art lyrique ne saurait se plaindre. Félicitons cependant l’ensemble des artistes qui ont contribué à la réussite de cette soirée et qui ont contribué à lui donner cette cohésion enchanteresse.