« Les 13 du 13 », la Scala de Paris présente un concert 100% baroque. Ce lundi 13, nous étions au Palazzo Ruspoli à Rome au début des années 1700, autour de Caldara, Haendel et Scarlatti avec Alexandre Baldo et Chloé de Guillebon. Une interprétation de très grande qualité au service d’un répertoire qui gagne à se faire connaître !
Alexandre Baldo, basse de très grand talent, nous avait déjà passionnés lors de son récital « Caldara » en 2023, dans la salle Cortot à l’acoustique irréprochable et au charme certain. Il était alors accompagné par sa petite formation musicale Mozaïque à laquelle appartient également la claveciniste de cette soirée.
Ensemble, ils venaient de sortir un CD que l’on ne peut que vous recommander chaudement, intitulé Antonio Caldara, arias pour basse et qui permet tout à la fois d’entendre cette belle voix aux harmoniques d’une richesse impressionnante que possède Alexandre Baldo, et un judicieux choix parmi les centaines d’œuvres de ce compositeur de l’ère baroque, célèbre de Venise, Barcelone, Rome et Vienne en ce début de dix-huitième siècle et qui influencera Haydn et Mozart.
Antonio Caldara est l’un des premiers compositeurs à mettre en musique les livrets de Metastasio, ce poète et écrivain qui fut l’un des plus beaux illustrateurs de la langue italienne en étroite collaboration avec l’ensemble des très nombreux compositeurs d’opéras seria, genre dans lequel il excellait.
En recherchant des partitions oubliées de Caldara, des airs écrits spécialement pour la basse Christoph Praun avec qui il travaillait à la cour de l’empereur Charles VI à Vienne entre 1716 et 1736, lorsqu’il était maître de chapelle, Alexandre Baldo s’est tout particulièrement attaché à réhabiliter également cette tessiture et l’un de ses représentants de l’époque.
La démarche est utile et passionnante : l’importance de Caldara est aujourd’hui largement sous-estimée et plus encore, celle de ses compositions pour voix de « taille-basse ». Les enregistrements sont rares et l’un des plus récents concerne les airs de contre-ténor (écrits pour castrats) que Jaroussky a enregistré dans son album Caldara in Vienna – Forgotten Castrato Arias.
Nous avions été séduits lors de ce concert Salle Cortot par la voix très souple, d’Alexandre Baldo qui sait aussi exécuter avec grâce les colorature et le legato a le sens du rythme, sait scander les arias rapides, montrer la qualité d’un medium solide ou adoucir son chant dans les parties élégiaques.
Cette fois, c’est avec le seul accompagnement du clavecin dynamique et fougueux de Chloé de Guillebon que notre jeune artiste, très en voix et en verve, nous conduit dans les demeures du Prince Franco Maria Marescotti Ruspoli, mécène et fin mélomane, qui accueillait Georges Friedrich Haendel puis Antonio Caldara lesquels composèrent nombre de cantates profanes basées sur les récits de l’Antiquité quand l’Amour sous les traits de Cupidon devenait un véritable personnage.
Et rien de plus logique pour faire revivre l’atmosphère de ces salons des résidences du mécène, lui-même fin musicien, que de faire revivre aussi Alessandro Scarlatti, cette fois au travers de ses œuvres pour clavecin. Il composa également plus de 600 de ces cantates en italien, véritables petites saynètes exprimant avec vitalité, les sentiments changeants des protagonistes.
Et si le concert s’intitule « Inferno » c’est que l’Amour, qui poursuit les Amants, comme le souligne Alexandre Baldo dans sa présentation, « est, à l’image de son dieu, un martyre impitoyable qui persécute sans répit les amants ».
Il faut rapprocher le style vocal de ces cantates des arias de l’opéra et souligner à l’écoute de ces morceaux de bravoure, à quel point nos compositeurs d’alors n’hésitaient pas à mettre au défi leurs interprètes en leur confiant des parties virtuoses puissantes où les sentiments complexes et passionnés sont sans cesse illustrés par de véritables difficultés vocales particulièrement impressionnantes dans ce répertoire.
Ce plaisir d’écouter le bel interprète qu’il est, a été partagé hier soir par l’ensemble du public, non seulement dans les pièces de Caldara comme la longue et vivante cantate « È un martirio della costanza » à laquelle il sait rendre vie et intelligence dans chaque phrase, mais aussi dans celle pleine d’humour et de rebondissements de Haendel « Dalla guerra amorosa », toutes deux écrites pour voix de basse et basse continuo.
Chloé de Guillebon, de son côté, accompagne avec habileté les élans lyriques de son partenaire, au travers d’une partition où arpèges et esquisses des mélodies viennent en contrepoint du chant dans le plus pur style baroque.
Mais elle est également soliste pour l’une des compostions les plus célèbres de Scarlatti, la Toccata per cembalo d’ottava stesa, d’une écriture musicale très extravertie, qui multiplie les difficultés techniques, comme un exercice étourdissant de virtuosité.
Chloé de Guillebon en donne une interprétation particulièrement séduisante par le dynamisme qu’elle insuffle à son instrument.
Il en est de même pour la Suite HVW428 de Haendel, qui appartient à un recueil des suites écrites par le compositeur avant 1720, et comporte elle aussi ses saillies hors norme, son écriture bousculée et originale, où s’entremêlent des formes italiennes, allemandes, françaises, témoignant de la personnalité du maestro.
Et l’on peut apprécier dans le jeu virtuose et expressif de l’artiste une nouvelle fois, comment une incarnation du baroque parfois réputé ennuyeux et qui se joue sur un clavier encore sommaire, loin du piano classique puis romantique, peut enflammer une salle attentive et passionnée.
Alexandre Baldo termine par deux cantates de Caldara dont il maitrise admirablement la richesse musicale et les variations infinies de style et de couleurs.
Ajoutons qu’il possède une incontestable présence sur scène et une diction irréprochable sans avoir le côté par trop scolaire des très jeunes interprètes bien au contraire.
C’est à un spectacle vivant qu’il nous invitait ce soir et nous avons partagé les affres, les souffrances, des jeunes protagonistes torturés par l’Amour. Les curieux pourront le retrouver dans diverses représentations au cours des mois qui viennent, notamment le Persée de Lully au Théâtre des Champs-Élysées le 14 février prochain.
Bravo à eux deux ! Deux jeunes talents à suivre assurément !
Les concerts baroques
La Scala de Paris, les 13 du mois 100% baroque : prochains concerts par ce lien.
Visuels © site des artistes © Eduardus Lee © Jean-Baptiste Millot