Devenu rare à Paris, Le comte Ory de Rossini a principalement profité de l’éclat donné à la Comtesse Adèle par Sara Blanch.
En 1825, fraîchement arrivé à Paris, Rossini compose, à l’occasion du sacre de Charles X, Le voyage à Reims, un chef-d’œuvre truffé d’airs pour les multiples personnages du livet, tous plus réussis les uns que les autres. Le voyage à Reims va disparaître assez rapidement de l’affiche ; mais, trois années plus tard, le compositeur réutilisera une grande partie de la musique dans un opéra, en français, écrit pour l’Opéra de Paris.
La première du Comte Ory est donnée 20 août 1828 dans la salle Le Peletier avec une distribution éblouissante (Adolphe Nourrit, Laure Cinti-Damoreau, Constance Jawureck, Henri-Bernard Dabadie, Nicolas-Prosper Levasseur…).
L’opéra est un succès qui se maintiendra au répertoire de l’Opéra durant de nombreuses années, puis, disparaîtra des scènes françaises en 1854, pour y revenir en 1958. Il sera ensuite souvent servi par des interprètes d’exception tels Michel Sénéchal, Rockwell Blake, Juan Diego Florez, Annick Massis, Mariella Devia, Cecilia Bartoli, Joyce di Donato, Samuel Ramey…
Le livret de Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson n’est guère imaginatif en reprenant le subterfuge de déguisement du comte dans les deux actes (la première fois en ermite, la seconde en pèlerine). En revanche, musicalement, Le comte Ory recèle plusieurs pépites. Toutes, hormis le délicieux trio plein d’ambiguïté de l’acte II entre Adèle, Isolier et Ory, sont issus du Voyage à Reims. Les morceaux composés spécifiquement pour l’opéra en français restent d’une inspiration inférieure.
Six numéros du Voyage sont donc repris, outre la deuxième partie de l’introduction (qui s’articule assez mal avec le passage assez pompeux rajouté par Rossini), on y retrouve l’air de Lord Sidney devenu ici Gouverneur, celui de la Comtesse Folleville (enrichi d’une introduction venant de Bianca et Falliero) qui devient celui de la Comtesse Adèle. Le finale du Ier acte est également issu du Voyage à Reims, mais il est chanté par sept solistes au lieu de quatorze. Au second acte, le duo Corinna et Belfiore devient celui entre le Comte et la Comtesse et, enfin, l’air du « catalogue» de Don Profondo échoit cette fois à Raimbaud, le compagnon et complice d’Ory
La distribution de cette version concert au Théâtre des Champs-Élysées a surtout permis à la plupart des parisiens présents de découvrir l’extraordinaire (et promise à un brillant avenir) chanteuse catalane, Sara Blanch, qui fut, en France une éblouissante Amina dans La Sonnambula de Bellini à l’Opéra de Nice en novembre 2022.
Dés son premier air (« En proie à la tristesse (…) Ô bon ermite »), elle démontre une parfaite maîtrise de tous les codes du bel canto rossinien. Le médium est riche, les aigus rayonnants, les variations folles, les vocalises vertigineuses, y compris dans cette langue française à la prosodie particulière, et les notes piquées sont exemplaires. Quant à la diction, elle est absolument correcte.
La comte Ory de Cyrille Dubois est un peu moins à son aise avec une tessiture rossinienne qui exige – après Nourrit, Blake et Florez – de très sérieux atouts pour s’y confronter. Non pas qu’il manque à Dubois une prononciation idéale, la prestance de scène et la vis comica exigée ici ou que la voix n’ait pas la facilité habituelle, mais les vocalises sont juste passables et ni le haut médium ni les aigus ne sont impressionnants. Est-ce, d’ailleurs, pour cette raison que son air d’entrée (« Jouvencelles, venez vite ») a été amputé du denier couplet ? Quoi qu’il en soit, en jupe, en deuxième partie, il aura assuré le spectacle dans toutes ces dimensions comiques.
On regrette que le rôle d’Isolier ait été un peu sacrifié par Rossini car, avouons-le, on aurait adoré écouter un solo de la talentueuse Ambroisine Bré dont le mezzo clair et la prestance en scène auront fait merveille tout au long de la soirée et notamment dans le duo « Une dame de haut parage » comme dans le trio coquin de l’acte II « À la faveur de cette nuit » . Et s’il en est une qui a le style parfaitement adapté au bel canto rossinien, c’est bien Monica Bacelli, habituée de ce genre de seconds rôles, qui se sera montrée excellente en Dame Ragonde.
De son côté, vaillant, le jeune Sergio Villegas-Galvain en Raimbaud, a exécuté ses airs avec toute son énergie, même si l’on aurait préféré un peu plus de mordant dans cet air, copie de celui de Don Profondo dans Le voyage à Reims. Malgré un beau timbre, Nicola Ulivieri, a montré une voix un peu lourde manquant de souplesse dans son air (« Veiller sans cesse, craindre toujours »).
L’ensemble de ces interprètes nous a, en tous cas, gratifié d’un septuor étourdissant en fin d’acte I. D’autant que, hormis quelques reprises escamotées – dont on aimerait connaître le responsable -, Frédéric Pineau, le Chef à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, et que les Chœurs (de chambre de Rouen et de l’Université de la Sorbonne) ont donné de l’allant à cette pièce légère de Rossini
Après cette soirée réussie, tout ce que l’on peut souhaiter, c’est de vite revoir Sara Blanch dans la capitale…
Visuel : © Paul Fourier