L’auditorium de Radio-France accueillait un concert pour le cent-cinquantenaire de la mort de Georges Bizet (1838-1875) en y adjoignant un peu d’Ambroise Thomas et de Giuseppe Verdi. Ce fut un court (mais beau) voyage en compagnie de John Osborn, Alexandre Duhamel et de Bertrand de Billy à la tête de l’Orchestre National de France.
De Georges Bizet, bien sûr, La France et le monde connaissent Carmen, succès éternel et jamais démenti. De cet éternel, on aurait fini par croire que le compositeur lui-même le fut ou, du moins, qu’il vécut fort vieux. Mais non ! Précoce, mais pas trop (sa première œuvre lyrique, Le docteur Miracle, date de 1857 alors qu’il a 18 ans), l’échec de Carmen (eh oui !), suivi de deux crises cardiaques et d’une foudroyante crise rhumatismale, verra cette carrière flamboyante s’arrêter net en 1875.
Lui rendre un hommage, ce pouvait être donner quelques airs d’un de ses opéras (en évitant justement Carmen si possible…), mais également le mettre en miroir de deux de ses contemporains : Ambroise Thomas et Giuseppe Verdi (en français !) avec des extraits d’œuvres qu’il a pu entendre (Mignon (1866) et Don Carlos (1867)). Et de le faire avec deux artistes de talent du chant français, dont un Américain qui porte haut les couleurs de notre belle langue lyrique.
Et ce pouvait tout autant être avec, Bertrand de Billy, un chef qui a toujours bien dirigé l’opéra français (de Gounod à Poulenc, en passant par Offenbach et Massenet) et qui débuta la soirée, avec énergie, à la tête de l’Orchestre National de France avec l’ouverture pot-pourri de Mignon (dans laquelle on reconnaît l’air de « Titania la bonde »). Cette entrée en bouche permettait d’introduire deux artistes qui ont à cœur de faire briller le chant français, ce qui est au moins aussi vrai de l’Américain John Osborn, que du Français Alexandre Duhamel.
Démarrant avec une voix encore un peu froide (ce qui s’est ressenti uniquement dans les premières phrases), Osborn a néanmoins offert une véritable démonstration de grâce et de son talent avec la romance de Nadir des Pêcheurs de perles (« Je crois entendre encore »), terminant celle-ci avec une grâce infinie et des notes de tête parfaitement contrôlées. Ce faisant, il rappelait, en un air, qu’il est, aujourd’hui, l’un des meilleurs représentants (et ils sont rares) de ce chant français pourtant parfois si difficile à porter.
La voix d’Alexandre Duhamel est peut-être moins gracieuse, mais, pour autant, pas moins efficace, avec son phrasé impeccable et une capacité à faire passer les sentiments, comme il a pu le montrer avec l’air de Zurga « L’orage s’est calmé », avant que l’on retrouve les deux chanteurs dans le magnifique duo « Au fond du temple saint », un duo qui a confirmé une parfaite entente des deux artistes et un mariage idéal des timbres.
Il était plus surprenant de rejoindre le ténor dans des extraits du Don Carlos de Verdi, pour un rôle qui serait probablement trop lourd pour lui en scène sur la longueur. Cela ne l’a pas empêché de délivrer le premier air de Carlos, celui « de Fontainebleau », avec un aplomb véritable et, une fois de plus, une clarté de voix absolument envoutante.
Ce fut alors une curieuse inversion qui nous fut offerte d’abord avec la mort de Rodrigue de l’acte V, superbement interprétée par Alexandre Duhamel pour revenir ensuite à un magnifique duo (alternatif) de l’acte II (« Le voilà, c’est l’Infant… Dieu, tu semas dans nos âmes ») couronné par un très beau contre-ut d’Osborn. Cela nous autorisait néanmoins à imaginer que si la marche paraît un peu haute pour le ténor (d’autant que celui-ci a toujours mené sa carrière avec une prudence tout à fait payante), un enregistrement de Don Carlos avec ces deux-là ne serait pas forcément une mauvaise idée…
Enfin, la deuxième partie permettait de retrouver la Symphonie en ut de Bizet, une œuvre de jeunesse qui mérite d’être réécoutée et offre l’occasion de se rappeler que ce Bizet-là n’a pas composé que l’opéra le plus populaire au monde.
Continuant sur sa « carrière française », on retrouvera John Osborn l’année prochaine notamment dans Faust à Liège et Vienne, dans Benvenuto Cellini à Bruxelles, dans Werther à Francfort et dans Le prophète au théâtre des Champs-Élysées, alors qu’Alexandre Duhamel s’éclatera, on l’espère, dans un répertoire plus germanique (Wotan ou le Hollandais).
Visuels : J. Osborn © collection de l’artiste ; A. Duhamel © Raphaël Lugassy ; B. de Billy © Marco Borggreve.