Cet automne, les musiciens de l’Opéra national du Capitole, dirigés par Hervé Niquet, ont délivré une somptueuse Thaïs de Jules Massenet. La mise en scène néo-symboliste de Stefano Poda et la voix puissante de Rachel Willis-Sørensen subliment cette histoire d’amour et de conversion.
Adaptée d’un roman d’Anatole France, Thaïs de Jules Massenet (1894) a pour héroïne une courtisane de l’Alexandrie des premiers siècles de notre ère. Thaïs est une femme fatale qui finit par renoncer à l’amour profane (et aux richesses qu’il lui confère) pour suivre le Christ avec le moine Athanaël. La guerre entre Vénus et Dieu serait très allégorique et ampoulée si la musique – dont les mythiques Méditations – ne donnait pas accès aux intériorités de personnages très dessinés.
Alors que l’orchestre dirigé par Hervé Niquet nous partage avec fougue un très grand amour pour ces superbes pages de musique française, les voix de cette Thaïs sont la clé de voûte de son succès : Tassis Christoyannis est un Athanaël au timbre élégant, Jean-François Borras un Nicias puissant et émouvant. Quant à Rachel Willis-Sørensen, elle irradie dans le rôle-titre avec un timbre d’une puissance qui peut se faire wagnérienne, mais qui sait aussi se faire doux, chaud et caressant, dans une diction parfaite, pour transmettre toute l’intériorité de la grâce qui traverse son personnage.
Après Nabucco l’an dernier, pour la mise en scène de Thaïs, le directeur de l’Opéra national du Capitole, Christophe Ghristi, a fait confiance à celui qui a transformé l’expérience visuelle des arènes de Vérone : Stefano Poda. La mise en scène que nous avons pu voir à Toulouse est une reprise d’une version pensée en 2008 pour Turin et qui propose une véritable expérience plastique où Gustave Moreau rencontre Romeo Castellucci, avec un brin d’art numérique à travers des murs qui semblent pixelisés. Metteur en scène, mais aussi scénographe, costumier et chorégraphe, Stefano Poda propose un art total, parfaitement irrigué de sacré, où la verticalité aussi bien que la profondeur de la scène sont utilisées.
Tout commence par l’érection d’une grande croix ; les Vénus de Milo s’épurent jusqu’à se fondre dans le blanc d’un plateau plus monacal, après que le rouge a crié la passion dans le premier acte. Dès le début, les danseurs font corps avec une sensualité un peu fauve et forment comme un chœur, tandis que d’autres corps tombent du plafond comme une nuée ou un châtiment. En final, Thaïs a son Golgotha, et l’on sort de l’opéra la tête pleine de sublimes images qui jouent de mille ambiguïtés entre sensualité vénéneuse et pureté du sacré.
C’est beau de bout en bout, et malgré le caractère un peu suranné de l’intrigue et la longueur de l’opéra (3 h 30 avec deux entractes), on se laisse happer par cet univers à la fois hiératique et fascinant.
Thaïs de Jules Massenet. Direction musicale : Hervé Niquet. Mise en scène : Stefano Poda. Avec Rachel Willis-Sorensen, Tassis Christoyannis, Jean-François Borras. Orchestre national du Capitole, Chœur de l’Opéra national du Capitole. Théâtre du Capitole, Toulouse.