Premiers adieux au récital de chant pour Natalie Dessay

Il fut un temps où Natalie Dessay évoluait dans des cimes stratosphériques de l’art lyrique. Elle était alors, malgré sa modestie, une Star incontestée qui brillait sur les grandes scènes de la planète. En 2013, elle a décidé de faire ses adieux à l’opéra pour diversifier ses passions et chatouiller notre intérêt. Continuant, jusqu’à ce jour, à se prêter à l’exercice du récital, elle partait surtout arpenter les planches des théâtres où ses prises de rôles ont été, immanquablement, remarquées (dans « Und », dans « Certaines n’avaient jamais vu la mer », dans « La légende d’une vie » et dans « Un pas de chat sauvage », l’an dernier, au festival d’Avignon). Elle a également eu l’occasion, autant qu’elle l’a pu, de travailler avec l’immense Michel Legrand, et elle annonce vouloir désormais plus se consacrer à la comédie musicale anglo-saxonne.

From Barber, Chausson, Hahn, Ravel, Beydts, Poulenc…

Mais, ce soir, le sujet était ses adieux au récital, une forme qu’elle pratique avec son complice pianiste Philippe Cassard. Paris est la première date d’une tournée qui la mènera dans plusieurs villes de régions.

La première partie du concert suivait un fil « aviaire » dans lequel, sur des musiques de Barber, Chausson, Hahn, Ravel, Beydts et Poulenc, on parlait cygne, colibri, rossignol colombe ou mouette. Comme l’a exprimé l’artiste, ce choix fait référence aux commentaires, désormais lointains, qui comparaient, au début de sa carrière, ses suraigus impressionnants aux chants des oiseaux.

Avec sa simplicité habituelle, Natalie Dessay n’a pas manqué de commenter les textes de Rilke, de Leconte de Lisle ou de Louise de Vilmorin. Pour les mélodies de Barber, elle a souligné la singularité d’avoir été écrites sur de la langue française ; pour la composition de Ravel, elle a rappelé qu’il était alors ambulancier pendant la Première Guerre mondiale et que le bleu, le blanc et le rouge évoqués dans les « Trois beaux oiseaux de paradis » n’étaient en rien anodins. Vocalement, même si le timbre de l’artiste, qui va bientôt passer ses six décennies, s’est forcément patiné, on retrouvait cette technique encore remarquable, ce souffle incroyable et ces aigus filés stupéfiants.

Par moments, la mémoire a un peu fait défaut à la chanteuse (heureusement que Cassard était là pour jouer son Jiminy Criquet et lui souffler à l’oreille). Cela nous a rappelé que Dessay peut avoir un côté dilettante dont elle ne se prive d’ailleurs pas de jouer (« Là, je suis trop détendue ! »).

Après les « Oiseaux tristes », petite merveille ravélienne, jouée par le très talentueux Philippe Cassard, l’on passait à un moment important, « La dame de Monte-Carlo », un air étonnant que Dessay et Cassard ont entonné ensemble à de multiples reprises et qui livre une histoire courte, digne de Zweig, un fragment de vie où alternent l’humeur noire d’une femme et l’exaltation de son addiction au jeu. L’on pouvait retrouver là, dans un texte plus court, un rythmique que Poulenc avait déjà utilisé dans La voix humaine, un texte écrit trois ans avant pour Denise Duval. Et cette dame (de Monte-Carlo) nous a permis d’apprécier les talents de Dessay, la théâtrale, de Dessay, la diseuse.

… to the musicals

En deuxième partie, changement de langue, d’abord avec Gian-Carlo Menotti (dont Dessay dit, avec malice, qu’il était « très, mais alors très très lié » à Samuel Barber) et son « opera radio », The Old Maid and the Thief pour lequel la soprano semblait retrouver des accents de la Cunégonde du Candide de Leonard Bernstein. Puis du même compositeur, ce fut une « Monica’s waltz » très drôle et, connaissant l’artiste, on a alors tellement bien compris pourquoi elle adore ce type de morceaux, quasi loufoques. La pièce maîtresse du récital a été « Knoxville : Summer of 1915 », une très belle composition dans laquelle Samuel Barber développait, par petites touches, comme dans un véritable tableau vivant, ses souvenirs d’enfance. Puis, comme pour faire le pont avec le précèdent récital donné à Garnier, elle a donné « I want magic », un air de A streetcar named desire qu’André Prévin a créé pour Renée Fleming.

Natalie Dessay s’est longtemps attachée à dire que sa carrière d’opéra est définitivement derrière elle. Mais quand on porte ce nom, le naturel revient souvent au galop. En bis, chanter « Pleurez mes yeux », l’air de Chimène du Cid de Massenet est plus qu’audacieux, improbable même, mais, désormais, Dessay fait exactement comme elle veut (et on ne la contredit pas). C’était, ensuite, « Tu m’as donné le plus doux rêve », un air de Lakmé, ce rôle si emblématique de ses débuts, qui nous a rappelé de si sensibles souvenirs. Devait-on en finir là ? Forcément pas, car Dessay, la joueuse, avait décidé de revenir encore plus avant, alors qu’elle avait, il y a bien longtemps, fugacement chanté l’air de Barberine des Noces de Figaro… et que son père avait raté ce court morceau. Avec cette pirouette espiègle, l’artiste s’en est allé… vers de nouvelles aventures (*)

* Elle sera dans Gypsy à la Philharmonie de Paris le 16 avril et dans Sweeney Todd du 17 juin au 6 juillet à l’Opéra du Rhin.