09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo    09.12.2024 : Les European Film Awards sacrent le cinéma français    09.12.24 : Indiana Jones devient un jeu vidéo
Agenda
Scènes
Auteurs et Autrices
Partenaires
Qui sommes-nous?
Contact
Agenda

Osborn et Lupinacci, de si beaux amoureux dans « Roberto Devereux » au festival Donizetti de Bergame

par Paul Fourier
26.11.2024

Pour l’édition 2024 du festival, l’un des plus beaux opéras de Donizetti a été donné dans sa version initiale napolitaine. Si la soirée a été marquée de bien des déconvenues, Raffaella Lupinacci et John Osborn ont hissé leur participation au plus haut niveau.

Nous sommes en 1837. Donizetti vient en, à peine, deux ans de perdre ses parents, sa femme Virginia et deux enfants. Il a bon nombre de chefs-d’œuvre derrière lui et s’est déjà intéressé au personnage de la reine Élisabeth d’Angleterre dans Elisabetta al castello di Kenilworth (1829) et Maria Stuarda (1835).

Le compositeur est au faîte de sa gloire ; il a de nombreux admirateurs et deux commandes qu’il doit honorer pour Naples et Venise. Il est fort possible que le travail représente alors une échappatoire à ses malheurs personnels et puisse en être aussi le miroir : Roberto Devereux qui sera, selon ses dires, « l’opéra de ses émotions », montre une reine, en fin de course, affectée par le sentiment de perte, et qui, finalement, baisse les bras en abdiquant.

Les aventures fantasmées d’Élisabeth et de son favori

Le théâtre français s’est déjà emparé, dans le passé, de cette histoire en grande partie fantasmée ; ce fut d’abord avec une pièce de Gauthier de Costes de la Calprenède (1637), suivie, en 1678, d’une autre dont l’auteur était Thomas, le frère de Pierre Corneille. Salvi et Orlandini en tirent, en 1715, pour Florence, l’opéra Amor e maestà en déplaçant le lieu de l’action à Persépolis. Pendant ce temps, à Milan, La regina Floridea est tiré de El conde de Sex, une comédie espagnole d’Antonio Coello qui se déroule cette fois sur l’île de Chypre…

Finalement, c’est un auteur français de vaudevilles et de tragédies, Jacques-Arsene-Polycarpe-François Ancelot (1794-1854) qui resitue l’histoire dans son contexte d’origine ; Élisabeth d’Angleterre est représentée à Paris en 1829. De cette pièce, le librettiste Felice Romani tire un livret pour Le comte d’Essex à destination de Mercadante pour un opéra qui est donné à la Scala au début de 1833.

L’œuvre attire probablement l’attention de Donizetti et, quelques années plus tard, c’est, cette fois, le napolitain Salvadore Cammarano qui utilise la tragédie d’Ancelot pour le livret de Roberto Devereux.

Ce livret n’a, bien sûr, aucun fondement historique ; il s’inspire certes de la sombre histoire du comte d’Essex, favori d’Elizabeth I et exécuté en 1601 pour sédition et haute trahison ; mais rien n’indique que Roberto ait été l’amant de la reine, pas plus que celle-ci n’a abdiqué en faveur de Jacques Ier… Exit donc les actes de trahison de Devereux ; nous retrouvons là un procédé déjà utilisé pour Elisabetta, regina d’Inghilterra (de Rossini) et Elisabetta al castello di Kenilworth, à savoir les démêlés croisés amoureux sur fond de jalousies de la reine, de son « favori », d’une deuxième femme (de la cour) et, accessoirement du mari de cette dernière.

 

À l’approche de la création de Roberto Devereux, une histoire romancée présentant une puissante reine aveuglée par la passion qui use de son pouvoir de manière irraisonnée et abdique, ne peut pas être du goût de l’impitoyable censure du régime bourbonien napolitain. Quoi qu’il en soit, moyennant quelques corrections relatives à des expressions liées à des sujets de nature religieuse, l’opéra est finalement autorisé.

Roberto Devereux est donc créé au Teatro San Carlo le 29 octobre 1837. Les interprètes sont bien connus de Donizetti : Giuseppina Ronzi de Begnis (Elisabetta) tout comme Giovanni Basadonna (Roberto) et Paul Barroilhet (Nottingham) ont, tous trois, déjà collaboré avec le compositeur à plusieurs reprises. Pour sa part Adelina Granchi (Sara) est débutante, mais elle très appréciée par Donizetti.

Devereux est un succès immédiat et mérité ; la partition – les critiques de l’époque ne s’y sont pas trompées – est l’une des meilleures de Donizetti. Le livret, très bien structuré, mesure l’inexorabilité du temps qui passe pour cette reine Elizabeth I présentée, en bout de cycle, âgée, fatiguée, et finalement vaincue.

 

De surcroît, l’opéra se clôt sur l’un des plus fascinants et hallucinants sommets du théâtre donizettien : la scène de l’abdication, une quasi-scène de folie parfaitement construite et écrite dans une effrayante vocalité pour l’interprète, va parachever l’effondrement physique d’Élisabeth. Cette reine que l’on a dit « vierge » voire « frigide » est enfin rendue sensible et amoureuse.

 

Après son premier succès, Roberto Devereux est non seulement repris pendant deux ans à Naples puis commence à faire le tour du monde de Florence à Venise, Lucques, Rome, de Barcelone à Paris, de Vienne à New York.

Les deux versions de Roberto Devereux

Probablement prévue initialement en deux actes, la partition a été créée en trois, mais les modifications les plus importantes vont survenir à l’occasion de la première représentation parisienne au Théâtre-Italien, le 27 décembre 1838, avec Grisi, Rubini, Tamburini et Albertazzi dans les rôles principaux. Pour cette reprise, Donizetti ajoute notamment une puissante ouverture symphonique, avec citation de « God save the Queen », ainsi qu’un remaniement de la cabalette en duo Elisabetta-Roberto.
Enfin, à l’occasion d’une tournée vers d’autres villes françaises – Rouen, Lyon – le compositeur réalise une nouvelle version de la romance de Sara dans le premier acte, cette fois en tonalité mineure, pour accentuer son caractère mélancolique.

Deux versions distinctes sont donc disponibles pour Roberto Devereux : la première présentée au San Carlo de Naples en 1837, avec un prélude de douze mesures, la romance de Sara en sol majeur et le duo Elisabetta-Roberto contenu dans l’autographe napolitain ; la seconde de 1838, pour les scènes françaises avec l’ouverture, la cavatine de Sara en sol mineur et le duo Elisabetta-Roberto modifié.

 

Le festival Donizetti nous présente donc, cette année, la version « originale » napolitaine de 1837. La démarche musicologique est intéressante même si l’on peut légitimement regretter qu’elle nous ait privés des améliorations faites par Donizetti pour le Théâtre-Italien de Paris, notamment de l’une des plus belles ouvertures composées par le Maître.

Jessica Pratt aux prises avec les difficultés du rôle

Il est normal qu’une soprano comme Jessica Pratt, arrivant à ce stade de carrière, forte de son extraordinaire maîtrise du bel canto rossinien, bellinien et donizettien, cherche à élargir son répertoire. C’est ce qu’elle tente ici avec Roberto Devereux, puis prochainement avec Norma et Lucrezia Borgia à Florence. Notons que ces rôles, en raison de leur extrême difficulté, ont accueilli peu de grandes interprètes ces dernières années…

 

Alors qu’elle peut faire valoir la clarté de son timbre puis sa virtuosité naturelle, le premier air « L’amor suo mi fe’ beata » la montre dans de très bonnes dispositions et la cabalette (« Ah ! Ritorna qual ti spero »), si elle n’est pas la plus ébouriffante qui soit, convient parfaitement à l’interprète. L’on note cependant déjà que les suraigus n’ont plus la facilité d’émission d’antan. Le début du duo avec Roberto dans lequel elle est encore la femme amoureuse est également de très bonne facture. Mais les graves sonnent extrêmement artificiels et la première scène de colère commence à mettre la soprano à rude épreuve mais elle y montre une belle endurance.

Au fur et à mesure que l’opéra impose des passages vocaux de plus en plus dramatiques, Pratt va se retrouver poussée dans ses retranchements. Dans le duo avec Nottingham dans l’acte II, alors que Simone Piazzola, même avec son legato correct, n’apporte pour sa part aucun dynamisme, la voix se tend, les aigus se durcissent progressivement, accusent par moments un vibrato, voire ont tendance à se détimbrer. Les sauts de registres posent problème et l’émission n’est véritablement confortable ni dans les aigus ni dans les graves. La suite de la scène – qui reçoit néanmoins une ovation – montre un magnifique engagement de la part de la soprano comme des autres interprètes, du chœur et de l’orchestre. Elle atteint cependant ici les extrêmes limites de ses capacités y compris dans l’aigu final…

Finalement, on retrouve la reine dans sa scène dantesque d’abdication de fin d’opéra, une scène où l’on doit reconnaître que Jessica Pratt fait preuve d’une implication sans faille. Le tout début de son monologue est géré correctement, mais on peut mesurer ce que la performance a eu d’éprouvant pour une voix telle que la sienne. Le « Vivi, ingrato, a lei d’accanto » est de bonne facture, mais elle ne tient guère les sons piani qu’on pourrait attendre ici, le médium s’émaille et les graves ne sont toujours pas très naturels.

 

Lorsque la mort de Roberto est annoncée par le canon, Élisabeth aborde la foulée conclusive vers son effondrement. La façon avec laquelle elle morigène Sara (« Tu perversa… tu soltanto ») est de bien peu d’impact. Finalement, « Quel sangue versato al cielo » est émis sur une corde raide, avec une belle énergie, mais aussi avec toutes les limites vers les graves comme vers les aigus que nous avons pu constater auparavant.
Le résultat final sera que la soprano est parvenue, non sans panache, au bout du rôle, mais qu’elle comme les spectateurs ont pu, à l’occasion de ces représentations bergamasques, en mesurer l’extrême difficulté.

Osborn et Lupinacci ou le bel canto à son meilleur et un bis réfléchi et enchanté

Durant la soirée, John Osborn, dans le rôle de Roberto va pouvoir déployer, de manière croissante, sa séduisante ligne de chant. La partie du ténor dans l’opéra n’est pas, non plus, des plus aisées, mais Osborn sait jouer de son émission à tout moment élégante. Il le prouve déjà dans les duos du premier acte et celui avec Sara est admirable. Gardant sa distinction naturelle, ne jouant jamais d’esbroufe, il est encore excellent dans le trio avec Élisabeth et Nottingham à l’acte II.

À l’acte III, dans la scène de la prison, Osborn démontre, une nouvelle fois, qu’il est l’un des meilleurs belcantistes actuels ; son « Io ti dirò fra gli ultimi » est d’une séduction aboutie portée par un timbre d’or qui jamais ne force, qui, toujours, se déploie de manière harmonieuse. La très longue ovation qui suit le mène, non sans hésitation au bis (la scène n’est pas terminée et la cabalette reste à venir). L’émotion sera d’autant plus intense que sont autant mises en évidence les fragilités de Roberto que celles du ténor qui doit alors gérer au mieux sans s’économiser. Ce faisant, Osborn nous offre l’un de ces rares et uniques moments d’opéra qui font la beauté de cet art et provoque la folie du public. La cabalette qui suit, réalisée sur un rythme modéré, ne sera là plus qu’une formalité qui conclut l’impression d’élégance constatée toute la soirée.

 

Pour sa part, dans le rôle de Sara, Raffaella Lupinacci aura montré un engagement hors pair. Son air d’entrée « All’afflitto è dolce il pianto… » présente un timbre soyeux dans les graves, une aptitude à tenir les notes longuement sans sacrifier la ligne de chant, ainsi que la souplesse belcantiste requise. Dans le magnifique duo d’amour contrarié avec Roberto « Da che tornasti, ahi misera », les deux interprètes accordent parfaitement leur chant et sont exemplaires alors que la cruelle séparation est proche. Par la suite, ce sera principalement elle qui insufflera de la tension dans le duo avec Nottingham, notamment grâce à l’homogénéité de sa voix, son riche médium et ses aigus puissants.

Simone Piazzola n’aura pas, pour sa part, été un Nottingham particulièrement marquant. Certes, il ne manque pas de métier pour son air (« Forse in quel cor »), mais la voix se sera trop souvent montrée monocorde, se limitant à un ambitus central avec des aigus difficiles et peinant à traduire correctement les sentiments de cet acteur majeur dans la descente de Roberto et de Sara.

Une mise en scène sans panache et une direction sans points saillants

L’intensité du drame conçu par Cammarano et Donizetti devrait théoriquement être portée par une mise en scène un tant soit peu exubérante, un tant soit peu « royale ». Cela n’aura vraiment été le cas avec celle de Stephen Langridge qui est, désespérément resté sur l’écume des choses. Elle se sera même avérée assez agressive visuellement avec ce grand cadre de scène lumineux que les protagonistes traversent régulièrement et qui nous éblouit. Les costumes ne sont pour leur part guère seyants. Par ailleurs, un accessoire (un grand lit rouge) et une grande marionnette, Élisabeth à tête de mort, font de temps à autre leur apparition. La convocation d’Éros et Thanatos nous rappelle, certes, que l’amour (plus que le sexe) et que la mort conclusive sont les ressorts du drame. On ne fait pourtant pas là une grande découverte d’autant plus que les personnages n’y gagnent pas plus d’épaisseur.

 

Enfin, que le fait que Langridge projette des vers en anglais (sous leur forme très « élisabéthaine ») est plus apparu comme une part de snobisme que comme un élément pertinent pour une mise en scène donnée à Bergame (et non sur le sol britannique).

 

On attendait beaucoup de la direction de Riccardo Frizza, grand spécialiste de bel canto et régulier intervenant dans la fosse du festival Donizetti. Là aussi la déception aura été de la partie tant l’orchestre aura peiné à porter des contrastes, des points saillants, dans une intrigue qui n’en manquent pourtant pas. C’est là l’une des grandes carences de cette production, car, en son royaume, on aurait pu penser que le chef-d’œuvre de Donizetti aurait pu prendre une flamboyance qui lui aura en définitive cruellement fait défaut.

Ce Roberto Devereux sera finalement donc apparu comme une belle occasion ratée. Si l’on a pu saisir que l’opportunité d’incarner le rôle d’Élisabeth soit laissée à une soprano qui a encore énormément à offrir dans le bel canto, il est assez incompréhensible que tant d’éléments – de la mise en scène à la direction en passant par le choix de certains interprètes – aient été aussi faibles. Il y avait heureusement d’autres sujets de satisfaction dans cette édition 2024, et il nous reste à espérer qu’un éventuel nouveau chef d’œuvre soit mis à l’honneur en 2025… avec plus de réussite.

Visuels : © Gianfranco Rota