Pour fêter ses 10 ans, l’Académie de l’Opéra de Paris organisait un concert d’anniversaire avec les artistes lyriques et instrumentaux en résidence, ce 18 septembre, à l’amphithéâtre Olivier Messiaen. En proposant un programme varié et original, l’Académie a démontré sa jeunesse, son talent, sa vivacité et nous a éblouis durant deux heures loin des tumultes de la cité.
À l’occasion de ce dixième anniversaire, il est bon de rappeler que, depuis 2015, l’Académie sous la direction de Myriam Mazouzi, forme les artistes de demain, souvent encore étudiants, et qui deviendront, avec son aide précieuse, des professionnels. 220 jeunes artistes ont ainsi pu approfondir leur formation, débuter sur scène, se confronter aux autres métiers du milieu, et se préparer à l’entrée dans le monde de l’opéra par la grande porte. Car l’Académie ne forme pas que des chanteurs, mais tous les métiers de l’art lyrique, instrumentistes, décorateurs, metteurs en scène notamment. L’institution donne également la possibilité de se voir offrir un rôle sur la grande scène de Bastille.
L’un des débouchés naturels mis en place par Alexandre Neef, l’actuel directeur, est la troupe lyrique de chanteurs « permanents » de l’Opéra de Paris qui , à l’instar d’un système qui a largement fait ses preuves de l’autre côté du Rhin et des Alpes, permet à de nombreux artistes d’assurer régulièrement des rôles dits « secondaires » dans la grande maison, avant d’envisager (ou non) de se produire en soliste indépendant (parfois ailleurs) ce qui nécessité d’acquérir une notoriété plus importante. Mais qu’importe, le plaisir de chanter ensemble dans une œuvre d’opéra est déjà rare et précieux comme en témoignent les artistes qui ont franchi le pas !
Ainsi s’exprime la soprano d’origine américaine, Ilana Lobel Torres, dans l’émission que France Musique a consacré à cet anniversaire la veille du concert : « J’ai aujourd’hui une très longue histoire d’amour avec l’Opéra de Paris, parce que ça fait maintenant six ans que je suis là, et c’est vraiment devenu ma maison, ma famille. J’adore être ici. L’Académie a joué un grand rôle dans le début de ma vie professionnelle, et je lui dois la carrière que j’ai aujourd’hui. Rien ne serait pareil si je n’avais pas fait l’Académie, j’en suis certaine ! ».
Nous avons pu l’apprécier très récemment en Suor Osmina dans Il Trittico de Puccini.
Comme l’annonce la présentation, le programme allait de l’Orfeo (1600) de Monteverdi, l’un des tous premiers opéras, à Owen Windgrave (1971), l’un des deux derniers opéras de Benjamin Britten. Une très belle manière de démontrer l’étendue du répertoire de chanteurs et d’instrumentistes de talent, sous la direction alerte de Antoine Dutaillis, tout en saluant la variété musicale du genre lyrique de l’époque baroque au monde contemporain.
Et l’on apprécie à sa juste valeur, de pouvoir ainsi entendre également d’assez longs extraits des Fêtes d’Hébé, l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau (1739) ou du trop rare Rape of Lucretia, l’opéra de chambre de Benjamin Britten qui marqua ses débuts en 1946 dans l’art lyrique, tout comme le délicieux extrait de la Scala di Seta (1812) de Rossini, avec l’aria de Giulia, « Il mio ben sospiro e chiamo », précédé de son récitatif et brillamment accompagné par la formation instrumentale de l’Académie.
Et nos jeunes artistes ont également le cœur à nous amuser avec les débuts de l’opérette Die Fledermaus (1874) de Johann Strauss, le fameux trio de l’acte 1 « So muss allein ich bleiben » (Rosalinde, Adele, Eisenstein) ou à l’aide de ces deux brillants extraits de l’opéra plutôt rare de Kurt Weill, Street scene (1946), « Remember That I Care » (Sam Kaplan, Rose Maurrant) puis le désopilant sextuor « Ice Cream » qui conclut cette belle soirée.
C’est la soprano géorgienne Ana Oniani dans le rôle de Giulia qui ouvre le bal avec grâce, timbre superbe et belles vocalises, trilles et nuances, tout est en place dans ce premier air de Rossini où la jeune fille, follement éprise du beau Dorvil, doit déjouer les plans de son vieux tuteur. Le petit orchestre qui l’accompagne – conformément à la composition de Rossini pour formation de chambre – fait preuve d’une belle homogénéité, et l’on admire tout particulièrement la classe des deux cors d’Andrès Cordoba et de Jonathan Alvarez.
Owen Windgrave est un opéra en deux actes de Britten peu connu, une des œuvres militantes du compositeur britannique qui, à l’instar de son magnifique War Requiem, y professait un message antimilitariste, résolument pacifiste. Dans le contexte de la guerre du Vietnam, cette œuvre commandée et créée pour la BBC avant d’être présentée au Royal Opera House, prenait un relief particulier. C’est l’histoire d’un jeune homme qui refuse de suivre une carrière militaire comme ses ancêtres.
L’extrait choisi se situe à l’acte 1 et met aux prises la fiancée d’Owen, Kate, sa mère, Mrs Julian et celle d’Owen, Mrs Windgrave au sujet de l’obstination du jeune homme. Et ce sont les belles et talentueuses sopranos Isobel Anthony et Lorena Pires, qui incarnent les mères tandis que la mezzo soprano Sofia Anisimova prête son superbe timbre de contralto à la difficile partition réservée à la jeune et cruelle Kate.
Le contraste absolu avec les mélodies virtuoses de Rossini, ne gênent absolument pas les jeunes instrumentistes qui assurent brillamment la composition tourmentée de Britten. La technique lyrique demandée est également complexe tant l’on sort de la zone de confort basée sur une tonalité donnée pour pénétrer le monde musical contemporain très évocateur des atmosphères modernes, et qui multiplie les sauts de notes, de tonalité, de rythme, les complexes accords. On admire d’autant plus la qualité de la représentation.
Et finalement, le retour immédiat aux débuts de l’opéra avec la pénétrante interprétation de cet Orféo qui pleure la mort de sa bien-aimée par le baryton-basse Luis-Felipe de Sousa, est une belle réussite de contrastes et d’émotions. Nous avions déjà remarqué l’artiste brésilien dans une précédente édition de ces concerts de l’Académie et nous ne pouvons que voir confirmée notre appréciation très positive d’alors. Le timbre est beau, les graves très riches, le legato envoûtant et l’incarnation d’une grande profondeur.
Pour les Fêtes d’Hébé, comme il se doit, nos chanteurs forment le chœur pour « Accourez riante jeunesse », tandis que la soprano franco-allemande Neima Fischer incarne un « Amour » superbe doté d’une forte personnalité qui irradie le plateau tandis que l’Hébé de la soprano française Sima Ouahman, nous livre une belle prestation toute vibrionnante et joyeuse.
La deuxième partie comprend la scène 2 entière de l’acte 1 du Rape of Lucretia de Benjamin Britten. À l’aide d’une petite mise en espace, les six artistes lyriques jouent leur partie de chaque côté de l’orchestre en formation de chambre. Les chœurs chargés, à la manière du théâtre antique, de présenter l’histoire et son déroulé, sont incarnés selon le choix de Britten par un seul soliste. Ce sont d’une part, le ténor américain Matthew Goodheart, à la voix solide et à la prosodie britannique impeccable et la soprano brésilienne Lorena Pires, déjà remarquée dans la soirée en Mrs Windgrave. L’on soulignera également la belle prestation, impressionnante, grave, et d’une classe folle, de la belle et altière Lucretia d’Amandine Portelli et l’étonnante Lucia de Neima Fischer que l’on a entendue en première partie dans le répertoire baroque de Rameau !
Et si le baryton Clemens Franck ne fait qu’une apparition tardive (mais brillante) en Tarquinius dans la scène autour du « Good night » en chant choral, on le retrouve presque aussitôt en Eisenstein dans Die Fledermaus, le « So muss allein ich bleiben », le joyeux trio de Strauss où se sont également illustrées la très brillante soprano ukrainienne Daria Akulova, Rosalinde de belle prestance à la voix de velours et à nouveau, Sima Ouahmann en Adèle.
Finir par deux scène assez contrastée du Street Scene de Kurt Weill est une belle idée en espérant qu’elle remettra au goût du jour cet opéra du compositeur allemand, qui fuit son pays dès 1933 et, lors de son exil aux USA, se frotte aux musiques populaires américaines, au jazz et aux comédies musicales d’alors.
Weill désirait d’ailleurs créer une œuvre originale, « opéra de Broadway », qui serait une synthèse de l’opéra traditionnel européen et de la comédie musicale américaine. La relation entre Rose Maurrant et son voisin Sam Kaplan est l’un des fils conducteurs de l’histoire qui se déroule dans un immeuble new yorkais, illustrée lors du concert par le duo « Remember that I care » où l’on retrouve Isobel Anthony d’une part et où l’on découvre le puissant ténor norvégien Bergsvein Toverud, dont on admire sans réserve la belle voix de stentor, la stabilité et la beauté du chant.
Le deuxième air choisi est le sextuor de la crème glacée, qui permet à une bonne partie de l’équipe de se retrouver dans ce morceau jubilatoire que les artistes prennent manifestement beaucoup de plaisir à jouer pour nous. Nous avions déjà parlé de la plupart d’entre eux à propos de l’Hommage à Bizet rendu par l’Académie en janvier dernier.
On n’oubliera pas en début de deuxième partie, une petite entorse bienvenue au tout lyrique avec l’adagio langoureux du quatuor à cordes de la compositrice britannique contemporaine Rebecca Clarke, belle pièce fort bien jouée par Marc Desjardins, Sue Anne Lee, Grégoire Vecchioni et Gabriel Bernès.
Que du bonheur et une grande confiance dans l’avenir lyrique !
Concert de l’Académie de l’Opéra de Paris
Jeudi 18 septembre 2025 – Amphithéâtre Olivier Messian
Photos : HA