Les cheffes d’orchestre ne sont pas si nombreuses dans le paysage musical et Nathalie Marin a été une pionnière en la matière. Elle nous raconte ses débuts, ses choix de carrière, et rappelle qu’il y a encore du boulot à faire pour faire connaître les grandes compositrices du passé ou pour permettre aux femmes d’accéder aux mêmes postes que les hommes…
Je viens du sud-est de la France. J’ai commencé la musique à 7ans et mes études au Conservatoire de la région de Lyon dès l’âge de 10 ans par la clarinette et le piano, mais, très vite, j’ai su que je voulais être cheffe d’orchestre.
Figurez-vous que je me pose encore la question !… Je me demande même si je ne devrais pas faire des séances d’hypnose pour le comprendre (rires).
Je viens de la campagne ; je ne suis pas issue d’une famille de musiciens ; je n’ai aucun souvenir d’avoir vu un, et encore moins, une cheffe d’orchestre. En bref, je ne comprends pas ! Mais, je me revois, à cinq ans, en train de diriger mon frère qui faisait déjà de la musique…
Devenir cheffe d’orchestre a été très tôt mon rêve, et je peux dire que je suis heureuse, parce que je l’ai réalisé.
Quoi qu’il en soit, ce fut un parcours du combattant, car, à l’époque, pour une femme, prétendre être chef d’orchestre, c’était impossible, c’était « Non » !
De la part des profs – nous étions alors dans un milieu assez conservateur – mais, également de la part de la famille par instinct de protection.
J’ai mis un peu de temps à trouver un professeur qui me convienne vraiment. En fait, je ne voulais pas un professeur de direction d’orchestre ; je voulais vraiment un chef d’orchestre. J’ai alors eu la chance de rencontrer Michel Tabachnik et j’ai fait un Master en direction d’orchestre, avec lui, à Copenhague. L’année suivante, j’ai été assistante à l’Opéra Royal du Danemark.
J’ai également travaillé avec un chef français, Jean-Claude Hartemann, pour le répertoire lyrique. Puis… j’ai essayé de voler de mes propres ailes.
Mais les portes étaient vraiment fermées pour les femmes. C’était très compliqué d’obtenir la confiance des directeurs exécutifs ou artistiques d’orchestres symphoniques ou d’opéras.
J’ai alors décidé de monter mon propre orchestre, et ce, en Isère puisque je résidais dans la région Rhône-Alpes. Cette formation s’appelait « l’ENsemble ORchestral de l’Isère » (ENORIS). J’ai alors été assez rapidement soutenue par les tutelles. C’est donc ainsi que j’ai appris mon métier.
Il y a alors eu beaucoup de projets. On m’avait mise en résidence dans le nord de l’Isère, une zone où il n’y avait pas de musique classique. Nous étions basés à la tour du Pin, mais, cependant, nous étions itinérants : nous allions jouer à Grenoble, à Lyon, dans des villages, dans des églises, théâtres, musées. Nous avons monté Le téléphone de Gian Carlo Menotti et La serva padrona de Pergolèse dans un lycée horticole, dans le cadre d’un projet intitulé « Opéras au lycée ».
Nous avons donné Le marteau sans maître de Pierre Boulez au musée d’Art moderne de Saint-Étienne, ainsi que des créations contemporaines. Nous sommes également allés donner des concerts à Shanghai à l’occasion de l’Exposition Universelle.
De fait, nous avons vraiment œuvré pour la démocratisation de la culture, l’accessibilité de la musique classique et de l’opéra pour les jeunes.
Même si c’était vraiment difficile, c’est de cette façon que j’ai acquis du répertoire et que j’ai appris mon métier… c’est-à-dire aussi bien diriger un orchestre que lire un bilan comptable.
Cela étant, à un moment donné, je me suis rendu compte que le projet stagnait.
C’est le moment où j’ai souhaité développer ma carrière à l’International.
Par hasard, je suis tombé sur une annonce pour un concours pour l’obtention du poste de Chef de l’Orchestre Symphonique National de l’Équateur. Je me suis présentée… j’étais parmi les six finalistes… et j’ai gagné !
J’ai alors été nommée Directrice artistique de l’orchestre, avec des objectifs très précis de la part du ministre de la Culture de développement de l’Orchestre au niveau international. Il y avait vraiment un public à créer, à former. Nous organisions même des déjeuners de presse pour former des critiques musicaux, car il n’y en avait pas.
Cette expérience m’a donné une certaine visibilité en Amérique latine, et ma carrière s’est développée sur ce continent d’Amérique du Sud.
J’ai pu alors découvrir, à Cuba – où j’ai fait un passage, et en Amérique latine en général, que, contrairement à ce qu’e l’on pourrait penser – et là, je parle du milieu professionnel -, ils sont beaucoup moins machistes qu’en Europe, et notamment qu’en France. À Cuba, la philosophie de la Révolution a très certainement joué… mais, plus globalement, en Amérique latine, lorsque les femmes travaillent, elles sont beaucoup plus considérées à égalité (des hommes).
Je parle bien du monde du travail, parce que dans la vie privée, c’est autre chose. Et le fait que j’ai obtenu ce poste en Équateur en 2010 montre que l’on n’avait pas hésité alors à mettre une femme à la tête d’un orchestre national.
En tant que Directrice artistique, je mettais en place ma saison. Mais, il y avait des contraintes liées au public, liées à la vie d’un orchestre qu’il fallait équilibrer.
J’ai alors, réalisé un programme plus imposant, plus « dix-neuvième », plus symphonique que ce que je faisais avec mon ensemble en France. D’une manière générale, mon répertoire est plutôt la musique des 19e, 20e et 21e siècles.
J’aime beaucoup Louise Farrenc, les Tchaïkovski évidemment ; j’adore Schumann, mais j’ai également dirigé Beethoven…
Cela a été un facteur déterminant dans mes entretiens pour le poste.
Très honnêtement, j’ai dit au jury que je connaissais très peu ce répertoire ; que je ne connaissais que quelques compositeurs cubains, comme Leo Brouwer.
Mais, je m’y suis mise avec grand plaisir. Et je suis, maintenant, invitée en Amérique latine pour diriger du répertoire latino-américain.
J’ai beaucoup dirigé Alberto Ginastera en Argentine, José Manuel Ponce au Mexique, et aussi des compositrices et des compositeurs brésiliens. Il y a une compositrice que j’aime beaucoup, c’est la Mexicaine Gabriela Ortiz.
D’autant plus que, surtout au XXe siècle, des ponts ont été tissés entre les compositeurs des deux continents.
Les Ginastera et autres, et même Villa-Lobos, étaient très reliés à Paris. Darius Milhaud – que j’ai dirigé l’année dernière au Brésil – a eu une grande expérience brésilienne, une influence et également une attirance pour la musique latino.
J’ai dirigé au Teatro Colon à Buenos Aires, mais aussi dans les provinces argentines où existent de très bons orchestres. À Mendoza, il y a deux orchestres symphoniques, à Salta, à Rosario… J’ai été invitée à diriger l’Orchestre Sinfónica del Chile, la Orquesta Sinfônica Brasileira à Rio do Janeiro.
J’ai dirigé les deux orchestres de Montevideo (Uruguay), les orchestres symphoniques nationaux de Bolivie, du Costa-Rica, de Cuba, du Panama ainsi qu’au Mexique où il y a aussi beaucoup d’orchestres. Depuis quelques années, je dédie une partie de mes activités à l’enseignement. J’ai un très bon assistant cubain César Eduardo Ramos qui termine son master à Amsterdam ; nous avons monté ensemble un orchestre de musique contemporaine à Cuba : Habana XXI. Nous réalisons des projets plus alternatifs, plus interdisciplinaires, avec de la vidéo, de la danse, etc.
J’enseigne dans les pays où je suis invitée pour diriger. Je donne des masterclasses au Brésil, à Rio, à Brasilia, à Jundiai, au Panama, à Cuba.
Je pars en Ouzbékistan la semaine prochaine et j’en donnerai aussi là-bas.
Encore au gré du hasard !
On m’a appelée un jour pour être cheffe titulaire de l’Opéra National de Mersin en Turquie… et j’ai tenté l’aventure ! J’étais intéressée par le fait d’être directrice musicale dans un Opéra. Il faut rappeler qu’en Turquie, il existe 6 opéras nationaux, 22 orchestres nationaux, dans un système qui a été instauré par Atatürk.
Chaque théâtre possède son orchestre, son chœur, son ballet, sa troupe de solistes, ses ateliers de décors et de costumes et les productions tournent entre les théâtres.
C’est un système qui fonctionne bien. Il y a beaucoup d’orchestres symphoniques. C’était une bonne expérience !
Pour le Kosovo, cela s’est fait un peu par hasard. J’y suis allée pour diriger une première fois, étant invitée par une amie. Et j’ai découvert un orchestre très touchant. C’était très intéressant d’être dans un pays qui avait 20 ans d’existence ; cela faisait 20 ans qu’ils étaient sortis de la guerre. La culture des Balkans est une culture assez profonde.
Et j’ai tenté l’aventure en tant que cheffe résidente, car, au fond… je suis une aventurière (sourire).
Au-delà de la musique, quand on travaille avec un orchestre qui est, un peu en soi, une microsociété, l’on rentre aussi dans la culture du pays. Au Kosovo, j’ai vécu une saison, d’environ 8 mois, et c’était vraiment passionnant, vraiment enrichissant. Cela m’a permis de découvrir entre autres la musique traditionnelle, les instruments traditionnels.
Puis, de fil en aiguille, il y a eu l’Azerbaïdjan, et ensuite, une très belle relation avec l’Ouzbékistan.
J’y retourne la semaine prochaine, diriger, entre autres, La valse de Ravel, en concert d’ouverture d’un festival de musique française qui va durer un mois. L’orchestre symphonique d’État est un très bon orchestre.
J’ai également dirigé Les pêcheurs de perles, il y a deux ans, à l’opéra de Tachkent. J’ai dirigé une création mondiale d’une compositrice ouzbèke Dilirom Saidaminova.
Il faut savoir que même s’ils sont orientés de l’autre côté du monde, les Ouzbeks apprécient beaucoup la musique académique occidentale, notamment la musique française.
Je vais diriger Augusta Holmès (La nuit et l’amour). J’ai aussi dirigé du Nadia Boulanger. Et, il y a évidemment une grande tradition de Tchaïkovski, l’héritage de l’Union soviétique…
Il faut déjà commencer par dire que la musique est universelle !
Ensuite, pour les comportements, la psychologie d’un orchestre, c’est évidemment, très différent de diriger… on ne dirige pas un orchestre cubain comme on dirige un orchestre ouzbek ! Par exemple, les Cubains seront un peu plus dissipés que les Ouzbeks !
Car chaque pays a ses particularités… et c’est à mon sens, aussi, l’une des qualités que doit avoir un.e chef.fe d’orchestre que de saisir ces particularités.
Il faut, très vite, comprendre à qui l’on a affaire, comment se comporter avec un orchestre, en fonction de la psychologie, des musiciens, de leurs susceptibilités, de leurs acquis culturels, de leurs habitudes, de leurs coutumes.
Dans les Caraïbes, il fait très chaud, il y a 95 % d’humidité dans l’air. Je vais pouvoir diriger les épaules nues. Ce que je ne pourrai évidemment pas faire dans un pays musulman.
J’ai dirigé par deux fois à Dubaï où il y a un orchestre symphonique de femmes. Bien évidemment, dans un pays, comme celui-là, il faut respecter les habitudes culturelles.
Par ailleurs, certains peuples sont plus susceptibles que d’autres, ou plus aguerris à une certaine discipline, à une certaine autorité. En France, nous avons un gros problème avec l’autorité, donc forcément avec les chef(fe)s !
Non ! Car il faut des références. Et, autant avoir joué au théâtre Colon est une solide référence en Amérique du Sud, autant en Europe, ce n’est pas le cas !
Les Européens restent très « eurocentrés », voire dans une démarche encore très colonialiste vis-à-vis de ces pays.
Pourtant, en ce moment, en Amérique latine, il y a vraiment un mouvement très intéressant de création musicale avec Arturo Márquez, avec Gabriela Ortiz, Claudio Alsuyet, Alicia Terzian, etc.
Je pense que les compositrices et compositeurs, ont pu trouver, là-bas, une originalité en se détachant, peut-être, plus facilement que les compositeurs européens, du sérialisme, en s’appuyant sur une musique traditionnelle forte, populaire, voire folklorique.
Et ces compositrices et compositeurs sont très apprécié.e.s. par le public. Après, il y a un chef qui fait beaucoup pour cette musique, c’est Gustavo Dudamel.
Je n’ai jamais eu d’incidents frontaux avec des musiciens d’orchestres. J’ai aussi appris à désamorcer, ce qui est aussi une qualité que j’enseigne à mes étudiants.
Le facteur psychologique est fondamental.
Les difficultés que j’ai eues, et que j’ai encore, en tant que cheffe femme, c’est avec les programmateurs qui sont quand même assez frileux, et qui vont dire « On va programmer une femme, une fois… parce qu’il le faut ».
À mes débuts, c’était carrément « Non ! » ; c’était très difficile parce que nous n’étions pas « calculées », pas prises en considération, vraiment ! Nous étions saquées dans les concours. Obtenir un contrat était très compliqué.
Maintenant, il y a une prise de conscience qui est mondiale, pour donner une place aux femmes cheffes d’orchestre, car on s’est enfin rendu compte qu’il n’y avait aucune raison sensée pour les en empêcher !
On a tout entendu :« Ah, mais elle n’a pas de son ». Ou alors, le grand compliment qu’on m’a parfois fait (je me demande comment je n’ai pas arraché les yeux du journaliste qui m’a dit ça !) : « Ah, mais vous, vous dirigez comme un homme, vous avez le son d’un homme » !!! « Elle joue comme un homme… », ça, c’était le grand compliment !
On a même eu des gros dérapages du style « Et le service après-vente après la maternité ? » Ça a été dit par un artiste français quand même, il n’y a pas si longtemps ! Qu’il y a dix ans, on ait eu des réflexions aussi sexistes que cela, c’est grave !
Il y avait vraiment besoin alors, d’une réelle prise de conscience.
C’est sûr que moi qui adore Toscanini ou Furtwängler, je ne sais pas comment ils auraient réagi si une femme avait eu l’audace de demander un cours de direction d’orchestre… mais c’était une autre époque !
En Ouzbékistan, j’ai demandé à rencontrer des compositrices et des femmes cheffes d’orchestre.
Nous étions une douzaine autour d’une table ; et on m’a expliqué que pendant la période de l’Union soviétique, il a été décidé de donner les mêmes opportunités aux femmes qu’aux hommes.
Elles ont, en effet, accès aux postes. Mais les barrières ne sont pas là. Il faut juste, m’a-t-on dit, que ces femmes « n’aient pas peur de leurs maris » ! Il y a donc aussi un chemin à faire pour elle.
En Europe aussi, il y a du travail à faire. Les femmes ont une double journée, voire une triple journée ! Il y a encore de la marge de progression.
Et si l’on regarde la situation des Orchestres symphoniques en France, il y a encore beaucoup de travail. Une seule femme, Débora Waldman, est à la tête d’un orchestre permanent, à Avignon. C’est peu !
Ceci étant, il y a de plus en plus de cheffes invitées, notamment des jeunes cheffes.
Le concours la Maestra joue un rôle primordial. Il a donné de la visibilité à ces femmes, et cela a permis une prise de conscience du côté du public. Et du côté des administrateurs d’orchestres, ils ont pu plus facilement concevoir des concerts dirigés par des femmes. Cela évolue donc dans le bon sens, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Lorsque j’ai fait un Master à Copenhague, à l’Académie royale du Danemark (en 1999), je me souviens que les journalistes se faisaient un point d’honneur à ne pas poser de questions sur le fait d’être une femme dans la direction d’orchestre.
En Europe du Nord, ils étaient déjà plus en avance d’un point de vue sociétal.
Absolument ! Je ne sais pas si c’est la solution, mais en tout cas j’avais noté cela. En 1999, ici, non seulement on ne parlait pas des femmes chefs d’orchestre, parce qu’il y en avait très peu. Et ce n’était pas un problème qu’il n’y en ait pas ! Sauf pour nous !
Il n’y avait aucune prise de conscience.
Là, je vais diriger Carmen et L’enfant et les sortilèges au théâtre municipal de Lima. Puis, Les pêcheurs de perles à Brasilia.
J’aime bien alterner l’opéra et le symphonique. Ce sont deux mondes différents, des émotions différentes des aventures différentes.
L’aventure d’un concert symphonique dure une semaine. Cela va très vite. Et cela n’implique que l’orchestre et la (le) chef.fe.
L’opéra est une plus longue aventure humaine, travailler avec une équipe plus importante, plus large. Et, ce qui m’intéresse, c’est de travailler en symbiose avec un.e metteur.euse en scène. L’art dramatique est important. Et, bien sûr la voix touche beaucoup plus qu’un instrument…
Pour Carmen, j’ai une production très internationale.
L’interprète du rôle-titre a chanté au théâtre de la Monnaie, le ténor à l’Opéra de Monte-Carlo. Lorsque l’on travaille avec des chanteurs sur place, bien évidemment, il faut faire un travail sur la langue, sur la prosodie et sur le style. Le style français est beaucoup moins accessible que celui du répertoire italien.
J’aimerais aussi faire de l’opéra allemand, du Wagner notamment, mais là j’attends qu’on m’appelle… Ce sont des œuvres que j’ai déjà étudiées, je suis prête à les diriger, il faut une grande maturité pour ce répertoire. Je ne suis pas complètement pressée, mais tout de même le temps passe, et il faudrait que je m’y mette (rire). Et, de surcroît, il n’est pas très évident de trouver des théâtres qui montent ces opéras.
À ce propos, j’étais récemment aux journées Boulez à la Philharmonie de Paris. J’avais rencontré Pierre Boulez, et Michel Tabachnik a été son élève, son assistant et le premier directeur musical de l’Ensemble inter-contemporain. Et lors de ces journées, un professeur de la Sorbonne a fait une présentation sur Boulez et Bayreuth et a rappelé que lorsque Wieland Wagner lui a écrit, Boulez lui a répondu qu’il n’était pas prêt alors qu’il était déjà un très grand chef. Et cela a pris beaucoup de temps, des échanges de lettres pendant des mois avant que Boulez décide de se lancer.
J’en ai dirigé pas mal, notamment les derniers Verdi, Falstaff que j’ai dirigé en Italie et les Puccini (Bohème, Butterfly, Tosca). Un opéra que je rêverais de diriger, c’est Andrea Chénier. Mais, je n’en ai jamais eu l’occasion.
Je milite beaucoup pour les compositrices. Je fais des conférences sur les compositrices du XIXe, du XXe et XXIe. Pourquoi ne les joue-t-on pas ? Elles ne sont pas connues, donc les organisateurs sont frileux et disent « si on programme Augusta Holmès, Louise Farrenc et Mel Bonis, qui va venir ? »
En ce qui me concerne, j’essaye d’en placer au moins une dans mes concerts.
Il y a aussi la difficulté de trouver les partitions, ce sont des œuvres qu’il faut qu’on apprenne ; c’est du nouveau répertoire qui n’est pas enseigné. Je mets un point d’honneur à enseigner au moins une compositrice dans mes masterclasses.
Mais c’est un combat ! Quand on m’invite pour une masterclasse, on préfère que j’enseigne une symphonie ou une ouverture de Beethoven, ou un Bartók, mais quand j’annonce que je vais mettre aussi une compositrice au programme, ce n’est pas toujours simple… Quant aux étudiants, ils ne connaissent pas, donc ils n’ont pas envie non plus.
Le problème, c’est que si ces compositrices ne sont jamais enseignées, on tourne en rond. Cela étant, il y a un très beau travail fait sur les compositrices françaises, c’est celui du Palazzetto Bru Zane. Et c’est un travail à saluer.
Augusta Holmès ou Louise Farrenc ont du succès en leurs temps, elles ont eu parfois plus de 50 représentations à l’Opéra-comique.
Après leur décès, elles ont disparu des scènes et ne sont pas entrées dans les manuels d’histoire de la musique, des manuels qui ont été écrits par des hommes qui ont évincé toutes ces compositrices.
On a même parfois constaté que, pour le groupe des six, Germaine Tailleferre qui n’était pas citée. Elle n’était pas prise au sérieux, autant que ses collègues hommes. Franchement, Tailleferre devrait être plus mise à l’honneur, car elle a composé des œuvres très intéressantes, notamment des opéras (que je pense jouer prochainement).
Heureusement, cela devrait changer, car maintenant, il y a des historiennes qui écrivent des livres sur l’Histoire de la musique dans lesquelles toutes ces femmes sont présentes.
Et c’est un joli défi, car il y a tout un répertoire à découvrir. Est-il encore nécessaire de faire des enregistrements des symphonies de Beethoven après les versions définitives qui ont été déjà données ? En revanche, il est intéressant d’enregistrer les œuvres de ces femmes.
Je fais partie du symposium international des femmes cheffes d’orchestre, des rencontres qui ont été initiées en Amérique latine (le prochain symposium aura lieu du 24 au 26 octobre 2025 à Las Palmas, Canaries, Espagne).
Un rapport est sorti en France, il y a 6-7 ans, qui soulignait qu’il y avait moins de 4 % de femmes programmées dans des orchestres symphoniques. Ça a fait mal ! On constate qu’il y a eu, depuis, une prise de conscience, des concours, plus d’opportunités pour les jeunes femmes et une évolution positive.
En ce qui nous concerne, nous nous retrouvons être plutôt la génération sacrifiée.
Quand nous avons commencé, cela a été compliqué et nous avons mené nos combats.
Mais, aujourd’hui, il y a heureusement cette prise de conscience, mais, bien évidemment, qui est-ce qu’on promeut ? La jeune génération, ce qui est légitime et me réjouit.
J’en profite pour soulever autre chose : on considère que plus un chef d’orchestre (homme) est vieux, plus il est bon ! Je caricature un peu, bien sûr. Mais, est-ce que la société est prête à avoir une vieille femme sur scène ? Je n’en suis pas sûre. Pourquoi ? Parce qu’il y a aussi un phénomène de « jeunisme »…
Quelques actrices revendiquent de se présenter telles qu’elles sont, sans lifting, naturelle, etc. Mais ce sont de très grandes actrices, qui sont intouchables.
Notre génération a donc un cap à passer, l’âgisme est une autre des difficultés que nous avons à surmonter.
Interview réalisée le 28 mars 2025.
Visuels : © Nathalie Marin.