Devant une salle comble, la soprano américaine, très appréciée à Paris, a mis son talent au service de ses plus grands airs en très bonne compagnie avec l’orchestre Lamoureux. Un véritable feu d’artifice vocal donné par une artiste très généreuse qui a multiplié les bis !
La soirée aura, certes, commencé en douceur avec deux morceaux (« Chi il bel sogno di Doretta… » de La Rondine et « Depuis le jour » de Louise) qui exigent de la part de l’interprète plus de nuances piani que ne peut réellement en donner la soprano. Mais il s‘agissait là de deux entrées en matière qui préfigurait un prodigieux plat principal dédié à trois des rôles importants de Sierra.
Immédiatement après ces deux airs, ce fut une valse de Juliette (« Je veux vivre ») portée par une insolente santé vocale et une capacité à donner, avec ses aigus extraordinaires, toute la brillance à ce morceau.
La première partie s’est conclue avec l’air emblématique de La Traviata (« E strano (…) Sempre libera ») qui a montré à quel point Sierra sait combiner aussi bien la délicatesse de l’interprétation d’une héroïne qui lui va si bien, que cette homogénéité de voix qui lui permet de délivrer des aigus de toute beauté et longuement tenus, piano dans la première partie, percutant pour la note finale.
En s’emparant, en début de deuxième partie, de Porgy and Bess, et en livrant un très sensible « Summertime », Nadine Sierra a fait un choix que l’on n’imagine pas neutre pour cette femme née en Floride d’une mère portugaise et d’un père américain d’origines italiennes et portoricaines. Le second hommage à la culture de son pays sera avec son premier bis « I Could Have Danced All Night » (de My Fair Lady) en introduction duquel elle en aura profité pour tacler en un mot le nouveau Président américain.
Américaine certes, mais aussi d’origine hispanique. Et c’est ce qui nous a permis d’entendre, également en bis, une très belle version de « Besame mucho » en compagnie du très talentueux et séduisant contrebassiste Marc André.
Alors que la soprano démarre prochainement une série de représentations de l’opéra à Naples, le deuxième air de Roméo et Juliette, absolument sidérant, fut celui de l’acte IV, « Dieu ! Quel frisson dans mes veines ». Portant l’ardeur typique de certaines des héroïnes de Gounod, sa Juliette s’est consumée de mille feux dans cette scène où la jeune fille se prépare à absorber le poison.
Enfin vint le grand air de Lucia di Lammermoor (« Il dolce suono (…) Spargi d’amaro pianto). L’artiste annonça que c’était là probablement la dernière fois qu’elle le chantait ; elle a indiqué ne plus se sentir légitime, à 36 ans, pour habiter ce rôle qu’elle escorte depuis si longtemps. Légitime, on ne sait pas, mais éblouissante, Sierra a su prouver qu’elle l’était encore, tant l’air fut vécu, tant l’interprétation fut exemplaire, tant la voix (accompagnée par la talentueuse flutiste de l’orchestre) fut souveraine, tant la virtuosité aura montré ici l’adéquation de sa voix au rôle et fut mise au service de la mort de l’héroïne de Donizetti.
Sierra, diserte et pleine d’entrain et d’humour, a ensuite montré qu’elle n’est pas avare en matière de bis. Outre ceux déjà cités, elle a livré un « Vissi d’arte » de Tosca inattendu, mais de très belle tenue, pour finir brillamment, encore avec Puccini, par « O mio babbino caro », un air qu’elle a chanté pour la première fois… à l’âge 13 ans. Le concert s’est donc terminé en beauté dans une ambiance survoltée, avec une artiste heureuse d’être à Paris et un public surexcité.
Pour ce concert, Adrien Perruchon et l’Orchestre Lamoureux avaient décidé de mettre à l’honneur Georges Bizet alors que l’on va fêter, cette année, le 150e anniversaire de sa disparition. Cela aura permis à cet orchestre irréprochable de donner (et de faire redécouvrir) l’ouverture de Djamileh (1871) et le Prélude de La jolie fille de Perth (1866). Outre cela, le prélude de l’acte I de La Traviata et le Lullaby de George Gershwin auront été l’occasion d’introduite le « E strano » et « Summertime ».
Ainsi, même si des éléments (accueil du public, restauration et bar) restent à améliorer dans la nouvelle configuration de la salle Gaveau, ouverte en 1907, et rachetée récemment par Jean-Marc Dumontet, le concert de Nadine Sierra aura démontré que l’excellence des récitals lyriques est, plus que jamais à l’ordre du jour, de l’institution.
À suivre prochainement : Philippe Jaroussky le 20 février, Reinoud Van Mechelen (actuellement dans Castor et Pollux à l’Opéra de Paris) le 8 mars, Roberto Alagna le 11 mars et le Macbeth de Verdi le 1ᵉʳ avril en version de concert…
Visuels : © Paul Fourier