C’est à partir d’une idée développée par Hugo von Hofmannsthal que Strauss confie à Joseph Gregor le soin d’écrire le livret de ce qu’il qualifiera de « Heitere Mythologie in drei Akten » (Mythologie joyeuse en trois actes), Son opéra intitulé Die Liebe der Danae (l’amour de Danaé) est une œuvre rare que l’on se réjouit de retrouver dans d’excellentes conditions à l’Opéra de Munich. Dans une mise en scène limpide et inventive de Claus Guth, l’histoire de Jupiter, Danaé et Midas, est superbement interprétée par Christopher Maltman, Malin Bystrom et Andreas Schager ; le tout sous la direction inspirée de Sebastien Weigle.
L’œuvre comporte une certaine malédiction étroitement liée aux conditions de sa création. En effet, composée par Strauss entre 1938 et 1941, elle aurait dû connaître sa Première au prestigieux Festival de Salzbourg, en 1944, alors que l’Autriche comme l’Allemagne étaient encore sous le joug nazi. On sait que Strauss s’en accommodait de facto, mais l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944 conduisit à l’annulation pure et simple du Festival. Il n’y eut donc qu’une représentation unique le 16 août 1944, sous la forme d’une répétition générale publique, dans une production de Rudolf Hartmann, avec Viorica Ursuleac dans le rôle-titre, Hans Hotter dans celui de Jupiter et Horst Taubmann dans celui de Midas, sous la direction de Clemens Krauss.
La Première réelle eut lieu à Salzbourg en août 1952, alors que Strauss était mort, dans la même configuration scénographique et sous la direction du même chef.
Au regard de la fréquence sur scène des nombreux opéras de Strauss, celui-ci fait un peu figure de parent pauvre. Certes, les rôles principaux, assez meurtriers, sont difficiles à distribuer de manière satisfaisante, mais c’est le cas pour la plupart des blockbusters de l’art lyrique que sont Die Frau Ohne Schatten, Ariadne auf Naxos, Elektra ou Salomé.
L’indigence relative du livret pèse également dans la balance quand on sait comme, en général, Richard Strauss savait et aimait s’entourer de librettistes, écrivains et poètes de talent : Hugo von Hofmannsthal pour l’essentiel de ses chefs-d’œuvre, mais aussi Oscar Wilde (Salomé) ou Stefan Zweig (Die Schweigsame Frau).
La composition musicale, quant à elle, est à la hauteur de toutes les attentes des amoureux de l’opéra et singulièrement de ceux qui aiment les orchestrations mouvementées et géniales du Bavarois.
L’amateur de Richard Strauss reconnaitra avec plaisir ces multiples clins d’œil à ses œuvres précédentes, un peu des motifs d’Arabella, de Der Rosenkavalier, du rare Daphné et un peu de l’excitation très spécifique à Die Fau Ohne Schatten.
Les polyphonies vocales se superposent à des variations instrumentales audacieuses, typiquement straussiennes, avec une soudaine utilisation intimiste des flûtes illustrant les pluies d’or, du Glockenspiel, du célesta ; autant d’exécutions cristallines qui interrompent provisoirement les déferlements de cordes, de cuivres, de percussions et de… voix, propres à l’œuvre. Interludes orchestraux et chant choral viennent ornementer une partition déjà remarquablement riche en sensations fortes, contrastes et couleurs.
Et la magie straussienne, qui vient de ce tissu sonore complexe et unique entre instruments divers et voix, fonctionne parfaitement pour ce chef-d’œuvre musical.
Claus Guth a réalisé plusieurs mises en scène de référence ces dernières années, parmi lesquelles on citera notamment son Lohengrin qui fit l’ouverture de la saison de la Scala en 2011. Encensé ou vilipendé, selon les goûts (et les propositions faites, très inégales), il faut lui reconnaitre un vrai savoir-faire dans Strauss, un compositeur qu’il connait très bien et dont il a déjà illustré plusieurs œuvres avec bonheur.
Dans une interview menée par Yvonne Gebauer, publiée dans le programme de l’Opéra de Munich, il souligne à ce propos : « J’ai d’abord été séduit par la grande variété de couleurs. J’étais impressionné par le nombre de strates successives que ce compositeur cachait sous une surface qui semblait pourtant uniforme. Mais intuitivement, j’ai ressenti ceci et cette musique enivrante m’a littéralement aspiré, voire submergé. […] La musique est pour moi le point de départ central de mon travail. Chez Strauss, je crois que l’orchestre réalise une radiographie des différentes strates musicales. Plus on explore et plus on creuse, plus ce cosmos s’enrichit. Grâce à cette stratification complexe, le dessin des personnages donne lieu à des portraits subtils, voire à des psychodrames d’une grande richesse, d’une incroyable modernité. Ce sont surtout les fortes figures féminines auxquelles Strauss s’est intéressé et qu’il a façonnées à maintes reprises tout au long de son œuvre. Je trouve le caractère abyssal de la musique de Richard Strauss très fascinant et inspirant. Elle me permet, en tant que metteur en scène, d’aller à l’encontre de la beauté superficielle avec des images et des récits très différents et de créer un écho dans les couches profondes de la musique. […] C’est aussi en cela que consiste mon travail : faire ressortir précisément cela. »
Et il faut reconnaitre qu’en réalisant ce très rare « Amour de Danaé » il a réussi son entreprise. Et pourtant il n’est pas forcément facile de traduire sur scène ce changement permanent d’identité entre Midas et Jupiter et de placer cette « farce » antique dans un contexte dramatique.
Il devait en effet s’attaquer à cette « mythologie joyeuse » où le librettiste Gregor a joué de différentes légendes pour reconstruire une histoire : celle de Jupiter et de ses multiples visages pour séduire, celle de l’ânier Midas à qui Dyonisos a octroyé le don de voir se transformer en or tout ce qu’il touche.
Dans l’opéra, Jupiter a rendu le roi de Lydie, Midas, riche à millions en lui donnant le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il touche. Pollux veut lui marier sa fille Danae pour sauver son royaume ruiné et menacé par ses créanciers. Jupiter, amoureux de Danae (pour de vrai comme disent les enfants), signe un pacte avec Midas lui permettant de prendre sa place. Mais l’amour vrai triomphera malgré le fait que Jupiter retire tout pouvoir à Midas le plongeant dans la pauvreté sans défaire son amour. Rien de fabuleux dans ce récit où les scènes drôles dominent et où la fantaisie est de mise.
Le choix de Guth s’avère judicieux et parfaitement adéquat, donnant une grande lisibilité à l’ensemble des aventures de ces dieux et demi-dieux de l’Antiquité dans l’univers moderne d’une tour de bureaux où s’affairent traders et boursicoteurs dans une mêlée de costumes cravates/mallette/laptop qui représentent les créanciers avides de pillage d’un roi Pollux ruiné, à qui le metteur en scène prête l’allure de Trump, première allusion tout à la fois facétieuse et grave dont la représentation est émaillée. On notera qu’il suffit d’une mèche de cheveux agressive et d’une démarche lourde et gauche pour évoquer le président des USA ; certains personnages historiques se prêtent facilement à la caricature…
La mise en scène brasse beaucoup de références dans le cadre de la transposition de la mythologie antique grecque en une sorte de récit « ramassé » des quelques jours (semaines) d’une crise financière qui aboutit à une situation postapocalyptique.
Guth découpe le récit en plusieurs périodes de courte durée (deux jours plus tard, quinze jours après, deux heures plus tard et ainsi de suite, autant de « placards » qui s’affichent pour le spectateur entre chacune des scènes, composant chacun des trois actes). Et rien du récit ne manque à l’appel.
Tout se passe donc dans le décor unique d’une vaste salle des marchés, dont les grandes baies vitrées, qui forment le mur du fond, révèlent l’évolution de la situation à l’extérieur de la tour de très grande hauteur, avec quelques vidéos fort réalistes (un vrai « plus » du décor des opéras aujourd’hui).
Ainsi nous verrons successivement les grands buildings de la ville arrosés par une pluie battante fouettant les carreaux tandis que les créanciers menacent Pollux-Trump, des pluies d’or s’abattre, un énorme avion tout en or atterrir, le beau temps revenir et s’illustrer par un beau crépuscule qui tourne bientôt à l’orage, d’énormes nuages menaçants semblant se précipiter vers la tour, à nouveau des pluies diluviennes et même une sorte de tsunami roulant vers les vitres dans un réalisme impressionnant, des fumées multicolores évoquant la mort à l’extérieur, et, dans une sorte de twist saisissant, alors que nous sommes au troisième acte dans la « hutte » de Midas où la pauvreté s’est installée, et qu’un hélicoptère vient de survoler la zone sans pouvoir s’approcher malgré les appels des infortunés réfugiés en arrière-plan, la sérénité l’emporte dans la belle scène finale chantée par Danae et des images en noir et blanc prennent à la gorge par ce qu’elles évoquent : elles représentent Munich bombardée par les alliés et les entrées des chars sur les ruines tandis que Strauss se promène dans son jardin de Garmisch à quelques kilomètres, manifestement inconscient du fait que l’Histoire vient de prendre un tournant.
Récemment a été donné sur ARTE un excellent documentaire, à propos de Strauss et de ses ambiguïtés. Guth en parle en ces termes dans des propos reproduits dans le programme des représentations : « L’homme de Munich qui a construit sa villa à Garmisch : cette figure bourgeoise dans laquelle la clairvoyance et la cécité sont très proches les unes des autres. En traitant avec L’Amour de Danae – une œuvre qui a été écrite peu de temps avant et au début de la Seconde Guerre mondiale – on ne peut pas éviter de traiter avec la personne politique controversée Richard Strauss. C’est un sujet très difficile. Ce qui est clair : Strauss n’était ni une victime apolitique ni un fervent partisan du régime nazi. »
Rappelons que cette mise en scène de Guth est créée à Munich en Bavière et l’histoire de leur compatriote Strauss est trop connue pour que ces images n’évoquent pas les errements du compositeur. Rappeler le contexte d’une œuvre est souvent utile et notamment dans le cas très particulier de ceux du plus grand compositeur allemand du vingtième siècle, et sans doute du plus complexe sur le plan de la richesse musicale.
Mais il ne faut pas croire pour autant que Guth n’illustre pas l’œuvre elle-même. Il le fait avec un souci scrupuleux du détail et quelques scènes de foule ou intimistes selon les situations, fort bien croquées et particulièrement lisibles.
On admirera d’ailleurs à sa juste valeur (tout en or) l’évolution de Danaé, d’abord top-model soucieuse de son image, puis femme amoureuse suite à ses rêves et qui renonce à la richesse pour garder ce qui apparait le plus précieux, son indépendance au mépris de la pauvreté, prix de son émancipation.
Les scènes de substitution entre Jupiter et Midas sont si bien traitées qu’on ne s’aperçoit pas toujours de la supercherie (comme les protagonistes de l’histoire) et que l’on découvre soudain qu’un homme tout d’or vêtu en a remplacé un autre, quand ils ouvrent la bouche et chantent (admirablement bien, on y reviendra). L’énorme lit en or qui occupe une bonne partie de la scène à l’acte 2 et le miroir doré tendu à Danaé, occultent habilement ces changements et donnent un caractère « magique » fort bien mené à une mise en scène sans cesse en mouvement et très bien « jouée » par tous les chanteurs, chœurs compris.
L’évolution de tous les personnages en ces quelques « jours » où le monde dominant est renversé, est particulièrement bien illustré, non seulement basiquement par l’évolution radicale des costumes, mais plus subtilement par celle des allures et des postures où peu à peu chaque personnage va ralentir ses mouvements (en symbiose avec un chant plus lyrique et plus « habité »), voire s’immobiliser dans une posture modeste, tandis que le monde a radicalement changé et que les derniers feux guettés par les survivants de cette apocalypse, s’éteignent à leur tour (Ah le jeu des néons !) plongeant le « bonheur » de l’amour simple dans le dénuement d’une pénombre douce et pénétrante.
De temps en temps, le haut du décor dévoile une passerelle où se tiennent des personnages qui jugent « de là-haut » de la situation sur terre. On voit en particulier une Junon très élégante au port de tête altier, vêtue d’un lamé argent, qui fume en agitant son porte-cigarette d’un air hautain ou manifestement frustrée et allume un briquet-tempête au moment où la foudre s’abat sur la foule au-dessous. L’effet lumière et musique est totalement synchronisé et très saisissant. On y verra également Mercure tout en blanc/argent, quand il recommande à Jupiter de tenter une dernière fois sa chance auprès de Danae.
Quand Jupiter est pressé par la foule des créanciers et par Pollux de leur donner satisfaction lors du dernier acte, ce dernier lance une poignée de billets qui se démultiplie dans les airs tandis que chacun ouvre sa mallette comme autant de mâchoires avides tournées vers la manne tombée du ciel dans un ballet frénétique où l’orchestre donne toute la magie de ces très riches sonorités.
Cette scène succède à l’une des trois très amusantes apparitions/interventions des anciennes amantes de Jupiter, les reines déchues en quelque sorte, traitées à juste titre par Guth sur le mode ludique.
À l’acte 1, elles sont en mission envoyées par Pollux auprès de Midas avec une image de sa fille Danae, destinée à le convaincre de l’épouser pour renflouer les caisses du royaume. Élégantes et bien mises, elles reviennent triomphantes avec les présents en or offert par un Midas séduit. Puis de complices, elles deviennent rivales, prêtes à Jupiter à en découdre avec cette nouvelle passion de Jupiter, à l’acte 2 elles tentent de le séduire à nouveau rivalisant pour le flatter et l’entourer (avec un très amusant jeu de chaises musicales qui évoque cette compétition vaine), à l’acte 3, elles ont beaucoup perdu de leur superbe, avachies, dépenaillées, ivres autour de la table où Jupiter décide de renoncer au monde puisqu’il a perdu l’amour de Danae.
Il s’éloigne alors, prenant l’apparence du Wanderer fatigué et symbolisant la défaite des dieux face à l’amour terrestre, mais aussi face aux ravages de l’argent.
Outre quelques scènes franchement amusantes qui renvoient au fait que Strauss aime émailler ses récits dramatiques de quelques anecdotes et/ou personnages drôles et plus légers, la référence au « Wanderer » (celui de Wagner bien sûr avec Jupiter dans son long manteau et la capuche le dissimulant déambulant au dernier acte avec sa lance sans équivoque), mais aussi la référence à Strauss lui-même vieillissant, qui dira dans Im Abendrot, le dernier de ses quatre derniers Lieder : « Wir sind wir die Wandermüde, ist das etwas das Tod? » (Comme nous sommes fatigués de la randonnée, est-ce cela, la mort ?) alors que jaillissent peu après les images en noir et blanc de l’année 1944 à Munich.
Sebastien Weigle est, lui aussi, à son affaire en dirigeant ce Strauss qu’il est bien agréable de redécouvrir dans d’aussi bonnes conditions. L’orchestre de l’opéra de Munich, comme son chef, ont Strauss dans leur ADN, et jouer de toutes ces approches complexes de cette composition est tout autant jubilatoire pour les exécutants en très grande forme, que pour les auditeurs absolument comblés dont une bonne partie se lèvera pour saluer spécifiquement les performances de l’orchestre au moment des saluts.
Weigle sait magnifiquement tirer parti de l’excellence de ses interprètes pour permettre l’expression des différents aspects musicaux, et ce, dès le premier acte particulièrement tumultueux et presque bruyant, qui introduit l’œuvre en fanfare.
Opéra des adieux artistiques de Strauss, cet Amour de Danaé est un chef-d’œuvre crépusculaire dont il faut oublier les faiblesses du livret, notamment au troisième acte, pour se concentrer sur les situations mises en musique si brillamment qu’elles laissent longtemps une empreinte indélébile sur la soirée.
Et l’on doit également tout ceci à la magnificence des chanteurs. Des chœurs qui comme toujours à Munich sont particulièrement brillants surtout quand ils chantent dans leur langue. Mais aussi des solistes principaux et secondaires (la classe habituelle de la grande maison).
Danae est incarnée par la soprano Malin Byström, remplacée par Manuella Uhl lors des premières représentations de la nouvelle production en février dernier, mais qui avait repris sa place depuis, et notamment pour cette reprise au festival d’été.
Byström est, à l’origine, une soprano mozartienne, mais elle a brillamment diversifié son répertoire depuis quelques années et on la retrouve toujours avec plaisir, notamment à Munich où nous avions beaucoup apprécié sa Minnie dans la Fanciulla del West il y a deux ans.
Elle ne rencontre aucune difficulté vocale, hormis peut-être lors des dernières tirades où son aigu souffre un peu de la longueur de l’exploit qu’elle doit réaliser dans ce rôle difficile et exigeant techniquement. Mais l’ensemble est admirablement chanté, avec ce rien d’insouciance qui se transforme en passion et ce reniement aux richesses terrestres qu’elle exprime par le repliement progressif de l’artiste sur elle-même après avoir été celle qui paradait devant les photographes de mode. C’est saisissant et très bien vu. Elle confirme d’ailleurs son immense talent d’artiste en même temps qu’elle s’affirme comme une interprète incontournable des opéras du 20e siècle avec leurs exigences bien spécifiques : pas d’airs époustouflants pour briller en quelques minutes, mais beaucoup de mélodies longues qui exigent un grand souffle, une voix particulièrement stable, et un sens de l’interprétation ; et notamment des nuances et couleurs du chant, qu’elle possède sans conteste. Le timbre est très beau, les amplitudes de notes bien maitrisées avec ce naturel des grandes cantatrices, et l’aisance dans ce rôle meurtrier est tout simplement admirable.
Et l’on pourra toujours s’extasier devant la puissance vocale de certains jeunes ténors très en vue, on n’atteindra cependant jamais celles d’un heldenténor comme Andreas Schager (dont on rappelle qu’il est venu de l’opérette) capable de passer un orchestre aussi impressionnant que celui des meilleurs Strauss, aussi bien dans le grave et le medium, que dans les aigus, d’une voix redevenue stable après quelques mésaventures constatées lors de ses récentes prestations, et toujours aussi souveraine et belle. Quand il arrive sur le plateau représentant ce Midas récemment devenu riche et si manipulable, qui pourtant ne se départira jamais de son amour, il déménage tellement que tout le monde se redresse sur son siège pour voir le phénomène. Il est parfait pour le rôle de tous les points de vue, il joue bien sans en faire de trop, à sa manière habituelle et l’on se prend à espérer qu’après un Bacchus très réussi sur la même scène, il se lance plus souvent dans les rôles de ténors straussiens, tous particulièrement difficiles et, qui n’en déplaise à certains, ne conviennent vraiment qu’à ces voix bien posées, puissantes, au souffle inépuisable, au timbre jamais altéré par le forte, capables de nuancer même si en l’espèce, ce n’est guère demandé à Midas.
Le baryton Christopher Maltman atteint des sommets sublimes de beau chant magistral en incarnant un Jupiter qui rivalise sans peine avec les décibels émis par son double. Depuis ses Don Giovanni, Maltman a incroyablement évolué vers le baryton dramatique, dans plusieurs rôles importants, dont ce difficile exercice straussien dont il se titre haut la main. Admirable Jupiter, il est d’abord autoritaire, sûr de lui, méprisant, mais son talon d’Achille (cet amour irrésistible pour Danaé qui n’est pas partagé) le conduira à renoncer à son pouvoir sur terre et vocalement comme scéniquement, Maltman traite merveilleusement bien de cette évolution, son charisme exceptionnel sur scène (qui le faisait déjà remarquer en Don Giovanni), rend au personnage toute sa gloire même devant la défaite.
La voix là aussi est souveraine, ne souffrant d’aucun défaut en particulier dans ses duos/affrontements avec Midas, ses échanges mi-sérieux, mi-ironiques avec les reines, comme sa tirade finale, celle de la défaite, admirablement prosodiée. Ah ce « Leuchte sein Sengen, sein Dank » qui conclut l’une des plus belles prestations de la soirée et entre en écho avec ce Lied de Strauss « Zueignung » (Dédicace) et son « Habe Danke » (merci) presque sur la même mélodie.
Bravo également au sosie de Trump, le Pollux du baryton Vincent Wolfsteiner, qui singe parfaitement bien le président des USA et donne une très brillante prestation notamment dans toute la première partie de l’acte 1 où il est fort sollicité, là aussi dans un rôle qui vocalement n’est pas de tout repos.
Le Merkur de Ya-Chung Huang est un peu grinçant comme il se doit et la Xanthe d’Erika Baikoff, à la belle voix de contralto, complètent une distribution sans failles, l’un et l’autre dans un rôle de conseiller.
Cette soirée figure dans la liste déjà longue des belles soirées munichoises et l’on est content d’avoir pu jouir du retour de cette œuvre emblématique sur scène au travers d’une interprétation aussi parfaite dans une illustration scénographique qui souligne l’universalité de l’amour le plus simple, jusque dans le dénuement total, face aux grandes menaces d’un monde qui ne sait plus quoi inventer pour détruire et tuer.
Strauss aime les contrastes de voix entremêlées (et enrichies par les couches orchestrales). La distribution des quatre reines, Semele (Sarah Dufresne), Europa (Evgeniya Sotnikova), Alkmene (Emily Sierra) et Leda (Avery Amereau), toutes membres du prestigieux ensemble de Munich, se révèle absolument parfait, qu’elles se succèdent dans l’une de leurs trois scènes importantes ou qu’elles chantent ensemble.
Outre un jeu scéniquement drôle et enlevé, elles savent moduler habilement leurs voix et varier leurs expressions, jouant intelligemment de l’opposition entre leurs timbres de sopranos ou de mezzo aux répertoires un peu différents les uns des autres.
Il en est de même des quatre rois, Paul Kaufmann, Kevin Conners, Bálint Szabó, Martin Snell, eux aussi familiers brillants de la scène munichoise qui campent fort bien leurs personnages.
Il était logique que l’Opéra de Munich inscrive à son répertoire tous les opéras de Richard Strauss et celui-ci en était évidemment partie prenante.